Europe : la prise d'otage de Nicolas Sarkozy

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  627  mots
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Le président de 2007 a été européen. Le candidat de 2012 fait un virage à 180 degrés en prenant en otage l'Europe de Schengen et du libre-échange.

L'Europe a été au c?ur du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Dés son élection en mai 2007, ses premiers mots ont été de dire que "La France est de retour en Europe". Son premier acte, peut-être ce que l'histoire retiendra de lui dans cinquante ans, a été de renégocier et de faire adopter, un nouveau traité européen, celui de Lisbonne, pour effacer le "non" français qui avait littéralement bloqué les institutions européennes et affaibli l'influence de la France. Chacun le reconnaît aujourd'hui, même ses opposants, Nicolas Sarkozy a assuré en 2008 une présidence efficace de l'Union européenne. Même s'il a parfois agacé, en bousculant les institutions et ses partenaires, Nicolas Sarkozy l'Européen a su prendre les bonnes décisions, au bon moment, sur la crise financière. Il a très certainement joué un rôle décisif pour éviter que le déni de réalité empêche les Etats de prendre la mesure de la gravité des événements et d'y répondre de façon appropriée.

Le même Nicolas Sarkozy a été à la pointe du combat pour sauver l'euro, lorsque la crise a traversé l'Atlantique, et a su convaincre et l'Allemagne, et les Français, hésitants, que la bonne stratégie était de sauver la Grèce et d'empêcher la spéculation financière de détruire, par effet de contagion, l'ensemble de la zone euro. Ce Nicolas Sarkozy là a été un des héraults de l'Europe de Maastricht. Il y a laissé des plumes, lorsqu'une France elle-même affaiblie a dû céder le leadership à une Allemagne au faîte de sa puissance.

Mais c'est un tout autre Nicolas Sarkozy qui s'est exprimé ce dimanche à Villepinte. On attendait de lui un programme d'avenir sur la France, on a eu droit à un discours régressif sur l'Europe, de la part d'un candidat qui a visiblement choisi de jouer le tout pour le tout en s'appuyant sur les clivages qui opposent encore les Français sur ce sujet. Au lieu de faire la pédagogie du "Oui", il a fait l'apologie du "Non", en attaquant les "technocrates" de Bruxelles, les accords de Schengen et le principe d'une économie de marché ouverte sur le monde. Marine le Pen n'attendait sans doute pas que le président-candidat lui donne à ce point raison. A courir à tout prix après les voix perdues de 2007, ce Nicolas Sarkozy-ci semble se précipiter sur une pente dangereuse en prenant l'Europe en otage de sa réélection.

Passons sur le fait qu'il y a quelque contradiction à dénoncer la volonté de François Hollande de renégocier le traité budgétaire avec l'Allemagne pour y inclure un volet « croissance » plus musclé, et à réclamer soi-même la renégociation de traités existants. Le plus surprenant, dans la vision qu'a formulée dimanche Nicolas Sarkozy est l'utilisation qu'il a faite, à plusieurs reprises, du mot « unilatéral ». C'est la menace de la politique de la chaise vide à la De Gaulle que Nicolas Sarkozy brandit devant l'Europe stupéfaite. A moins qu'il pense faire campagne pour la présidence de l'Europe...

Angela Merkel, à la tête d'une Allemagne favorable au libre échange et qui serait la principale perdante d'un tel protectionnisme européen, doit se demander ce soir si elle a bien fait de soutenir comme elle l'a fait le candidat Sarkozy. Elle avait réussi à s'accommoder du président, mais il est peu probable qu'elle le suive sur ce programme là. A moins qu'il ne s'agisse, une fois de plus, que de propos de tribune destinés à cajoler l'électeur en lui disant ce qu'il a envie d'entendre, sans avoir aucune intention de l'appliquer.

pmabille@latribune.fr