Le côté obscur de la Finance

Par Par Philippe Mabille  |   |  743  mots
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Retour sur l'onde de choc provoquée sur Wall Street par le témoignage emblématique d'un ancien banquier de Goldman Sachs repenti. Où il est démontré que la finance américaine n'a toujours tiré aucune leçon de la crise financière. Et qu'il est temps de s'en "occuper"...

L?affaire Greg Smith, du nom de cet ancien banquier de Goldman Sachs qui s?est élevé la semaine dernière, dans une très médiatique tribune dans le "New York Times", contre les pratiques de son ancien employeur, a provoqué une véritable onde de choc à Wall Street où des militants du mouvement « Occupy » tentaient encore ce week-end de faire parler d?eux en se faisant, à nouveau, expulser de Zuccotti Park, dans le sud de Manhattan. Certes, l?image sulfureuse de la très influente banque d?affaires, surnommée "la Pieuvre" ou "Government Sachs" pour sa capacité à pénétrer le monde politique, explique pour une bonne part l?intérêt mondial porté aux états d?âme de cet ancien trader repenti. Mais c?est plus que cela.

Que dénonce Greg Smith au fond ? Il ne dit pas que sa banque a fait quoi que ce soit d?illégal, mais il lève le voile sur des comportements cyniques et amoraux qui ont cours dans sa firme. Il affirme que l?intérêt de la banque passe systématiquement devant celui des clients, qualifiés de "pantins" ("muppets") dans des mails internes. Bref, que les conflits d?intérêt sont légion.

Ce n?est pas la première fois, ni la dernière, que de tels reproches sont fait à Goldman Sachs en particulier et à travers cette banque, à l?ensemble de la finance américaine. Les films « Wall Street » I et II et surtout « Cleveland contre Wall Street » et « Inside Job » ont déjà largement fait le procès de ces banquiers sans scrupules atteints par le virus de la cupidité et passés du côté obscur de la Finance... Le FBI a même utilisé l?image de Gordon Gekko, incarné par Michael Douglas, pour faire la chasse aux délits d?initiés à Wall Street... Mais ce qui fait tout l?intérêt de l?affaire Greg Smith, c?est qu?elle montre, de l?intérieur, que rien n?a vraiment changé dans le fonctionnement de la finance anglo-saxonne. Que la course à la rentabilité à tout prix reste le seul moteur d?un secteur qui refuse de comprendre qu?il va devoir changer de modèle économique. Toutes les mesures prises, les G20, les nouvelles réglementations nationales ou internationales, n?ont donc servi à rien. Au contraire, plus la pression de l?opinion publique contre la finance monte en puissance, plus les règles se durcissent, et plus la course au profit semble s?accélérer.

La « firme » après avoir tenté de décrédibiliser les propos « amers » d?un ancien salarié, a pris la mesure de l?impact désastreux de ce témoignage sur son image. La direction de Goldman Sachs a annoncé, dans le "Wall Street Journal" à la veille du week-end qu?elle allait entamer "une réflexion pour renforcer ses règles de transparence sur les conflits d?intérêt". Un début de mea culpa, mais sans grande conséquence. Lloyd Blankfein, le patron de Goldman Sachs, lors d'une audition devant le Congrès, n'avait-il pas reconnu que la finance avait une part de responsabilité dans la crise des subprimes. Dans une tribune au même "Wall Street Journal", début mars, le secrétaire américain au Trésor, Tim Geithner, qui fut comme patron de la Fed de New York aux premières loges , avait pourtant mis en garde les banquiers contre le risque d?amnésie. "Les coûts d?une réforme sont certes élevés, affirmait-il, mais bien moins élevés que ceux d?une nouvelle crise financière". Certes, un Greg Smith ne suffira pas pour changer Wall Street, mais sans doute dépassé lui-même par l?écho de sa tribune, son témoignage a valeur d?avertissement. Il est temps, plus que temps, pour que la bonne finance chasse la mauvaise, de prendre la mesure de ce qu'il faut faire pour éviter de commettre les mêmes erreurs que celles qui ont plongé le monde occidental dans la plus grave crise économique depuis celle des années Trente. Ce qui est cause, ce n'est pas tant le caractère moral ou amoral de la finance, que l'absence de transparence sur les marchés financiers et le fait que les gouvernements laissent encore des pans entiers de la finance vivre dans l'ombre sans aucune régulation.