Y a-t-il un scandale Free ?

Par Éric Walther  |   |  645  mots
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Le silence du nouvel opérateur de téléphonie mobile sur les ratés de son réseau entretient une suspicion malsaine et confine à l'arrogance vis-à-vis de ses deux millions de nouveaux clients. Son capital sympathie accumulé depuis des années n'est pas inépuisable.

Le champion de la communication est donc aussi le roi du silence. Vous aviez aimé la campagne de lancement de Free Mobile, fondée d'ailleurs sur l'entretien d'un vrai-faux secret, qui avait alimenté un buzz, par nature gratuit ? Pas sûr que vous soyez convaincu par le mutisme de l'opérateur qui se refuse à donner la moindre information ou explication sur les ratés de son réseau de plus en plus fréquents et préjudiciables pour ses abonnés (un communiqué lapidaire publié hier soir sur son site a toutefois annoncé un retour à la normale d'ici quinze jours). Ce dérangement téléphonique est d'ailleurs devenu suffisamment problématique pour que l'UFC Que Choisir se saisisse du dossier et demande des comptes dans un courrier à l'opérateur.
Disons-le brutalement : ce mur du silence est tout bonnement inadmissible. Quelle entreprise peut se permettre de laisser en l'air deux millions de nouveaux clients, peut-être davantage, qui sont confrontés à ces dysfonctionnements ou en ont suffisamment entendu ou lu pour s'estimer menacés par une interruption de service?
Le groupe crée par Xavier Niel a fondé son succès et sa réputation sur un message double : je suis un innovateur en matière de technologie et de marketing, et je suis aussi le pourfendeur des positions acquises et indues. Le défenseur de la veuve et l'orphelin des méchants oligopoles. Fort bien. Qui eût osé se plaindre qu'un trublion vienne bousculer la tranquillité de mastodontes, en finissant par lui imposer son modèle pour l'abonnement à Internet, le forfait tout compris?
Vint le téléphone mobile que Xavier Niel menaçait de révolutionner depuis longtemps. Plus compliqué : un marché mature, des contraintes techniques considérables et surtout une obligation de service non négociable. Et pour couronner le tout, une dépendance vis-à-vis de son pire ennemi, Orange, qui doit assurer, en vertu d'un contrat dit d'itinérance, la couverture des deux tiers de son réseau, en attendant qu'il ait achevé d'installer le sien. Un contexte qui laissait prévoir des incidents. On en est aux accidents.
Tout le monde à ses arguments pour les justifier, et les noms d'oiseaux volent aussi vite qu'un texto. Il n'empêche. En se réfugiant dans le mutisme, Free ouvre la porte à toutes les spéculations : est-il à la hauteur de son projet, tant sur le plan technique que logistique? Le dispositif adopté, validé par l'autorité de régulation qui aujourd'hui est obligée de défendre becs et ongles l'opérateur faute de quoi elle se déjugerait, est-il adapté ? Les procédures de vérification du respect des engagements des uns et des autres sont-elles efficientes?
C'est vrai, la moindre reconnaissance d'une défaillance pourrait réveiller les ardeurs des procéduriers, ravis de pouvoir créer un précèdent en demandant réparations et indemnités. Une jurisprudence qui terrifie tous les opérateurs.
Free est loin d'avoir épuisé son capital bienveillance acquis depuis des années auprès de ses millions d'abonnés. En mettant en évidence la rente de ses concurrents par les tarifs qu'il a annoncés et sur lesquels tout le monde tente de s'aligner, il semblait s'être mis à l'abri pour un temps. On peut d'ailleurs le mesurer en observant la complaisance avec laquelle l'establishment le traite malgré le micro-débat ouvert sur le thème « Free tue des emplois dans le secteur à force de casser les prix ». Enfin, heureusement pour Xavier Niel, la culture consumériste française reste relativement obligeante. On n'ose imaginer la campagne qu'il subirait dans les pays anglo-saxons où l'on vénère autant la concurrence qu'on sanctionne les dérapages.
L'arrogance est mauvaise conseillère lorsqu'elle ne s'appuie plus sur des arguments sonnants et trébuchants. Apple s'en est toujours accomodé. Mais Free n'est pas encore Apple.