La victoire de François Hollande avait beau être anticipée par les sondages, elle n'en constitue pas moins un évènement très singulier dans le paysage politique français. Il y a tout juste un an, les chances du leader socialiste d'accéder à l'Elysée étaient quasi nulles. Puis l'affaire DSK a tout changé...Quoiqu'il en soit, cette élection met en lumière une triple rupture. La première est celle qui a séparé Nicolas Sarkozy et les électeurs, à commencer par ceux de son propre camp. Les experts en politique donneront probablement dans les jours qui viennent des analyses approfondies sur les causes réelles de cette rupture. Quelques unes sont néanmoins connues : le style du président sortant, la droitisation de son discours même s'il ne faut pas en exagérer l'effet sur son électorat, les difficultés de concevoir une politique économique et fiscale pérenne dans une crise financière qui a produit les effets que l'on connaît sur les déficits publics, la dette et l'emploi. Les résultats obtenus par Nicolas Sarkozy n'ont pas pesé lourd même s'il ne faut pas les passer sous silence, notamment s'agissant de la gestion de la crise européenne, dans laquelle le président français a su former avec Angela Merkel une équipe a qui un peu forcé le destin de la zone euro. Mais au total, Nicolas Sarkozy, comme d'autres chefs d'Etat et de gouvernement en Europe, n'aura pas convaincu les électeurs de son propre camp ni ceux dont ils voulaient s'attirer les sympathies, du bien-fondé de cette politique européenne de redressement des finances publiques et de réduction de la dette.
L'élection de François Hollande marque une autre rupture entre deux visions politiques, celle incarnée par l'ancien président qui reposait en grande partie sur les élites économiques, le secteur privé, les entrepreneurs, l'adaptation à la brutalité de la réalité économique en Europe, le « vrai travail » pour reprendre une expression malheureuse de Nicolas Sarkozy et la vision qu'a exprimée à plusieurs reprises François Hollande, qui croit à l'action publique en matière de création d'emplois, qui prône le dialogue avec les syndicats, qui incarne une France plus protectrice que conquérante et qui a toute de suite pris ses distances avec Angela Merkel, même si cette distance est probablement moins grande depuis quelques heures. Cette rupture est dangereuse : durant la campagne présidentielle, on a vu ces deux France face à face, montées l'une contre l'autre dans un exercice qui n'a pas porté chance, il est vrai, à Nicolas Sarkozy. Il reste que cette fracture demeure. Le premier tour a montré que plus d'un Français sur trois, à l'extrême gauche et à l'extrême droite, rejette aujourd'hui l'appartenance de la France à l'euro où le rôle positif des entreprises dans la création de richesses collectives, pour ne prendre que ces deux sujets. François Hollande a d'ailleurs insisté sur la nécessité de traiter les « fractures, les blessures, les ruptures, les coupures » de la société française. Ce sera un chantier difficile qui sera probablement un thème majeur des élections législatives.
Enfin, cette élection marque une troisième rupture, celle du paysage politique français. Un président de gauche revient à l'Elysée dix sept ans après le départ de François Mitterrand. C'est un choc pour la droite traditionnelle. Il y a peu de chances que l'UMP sorte indemne de l'échec de son leader. Le centre a été laminé par l'aventure sarkozienne et pourrait se chercher un nouveau destin. Marine Le Pen ne fait plus mystère de son intention de construire un nouveau pôle de droite en France. A gauche, même si le Parti socialiste est conforté dans sa situation de première force politique du pays, Jean-Luc Mélenchon n'en cherchera pas moins à faire « vivre » l'électorat qu'il a réuni au premier tour et les écologistes tenteront d'obtenir aux législatives une « réparation » pour les pertes cruelles subies à la présidentielle.
Reste l'essentiel : la tâche qui s'annonce sera rude. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce ne sont pas les premiers rendez-vous avec Angela Merkel sur le traité budgétaire européen qui sont à craindre car on verra assez rapidement s'élaborer un consensus sur la nécessité de relancer la croissance dans l'Union Européenne, même si les pays membres de l'Union devront se mettre d'accord sur les instruments à mettre en oeuvre. Le fait que dans sa première déclaration, à Tulle, le nouveau président ait clairement fait de la réduction des déficits l'une de ses toutes premières priorités, était un signal envoyé à Berlin. Le plus difficile sera de gérer une éventuelle prolongation de la phase de récession en Europe (il faudra surveiller de très près les prévisions économiques de la Commission économique sur le deuxième semestre 2012 qui seront dévoilées le 11 mai prochain), car si les difficultés économiques de l'Espagne, de l'Italie et de la France devaient s'aggraver dans les semaines qui viennent, François Hollande serait contraint à un rendez-vous plus rude que prévu avec la réalité de la situation économique en Europe.
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