Le prix du gaz, nouvel enjeu politique

Par François Roche  |   |  700  mots
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Le gaz de schiste est un sujet autour duquel se cristallisent les contradictions de la société française. On ne peut nier que le pays a besoin d'un choc de compétitivité. Pour le moment, on cherche à le créer par un choc fiscal, consistant à transférer une partie du coût de notre modèle social des entreprises vers les retraités ou les ménages les plus fortunés. Un consensus a l'air de se dégager en faveur de cette nouvelle stratégie, dont il est encore difficile de mesurer les effets positifs sur la croissance économique.

Aux États-Unis, le développement des gisements de gaz de schiste a aussi provoqué un choc de compétitivité massif, en abaissant de façon spectaculaire le coût d?une source d?énergie essentielle : le gaz naturel. Une Amérique indépendante sur le plan énergétique, ce qui se profile d?ici peu, n?est évidemment pas dans la même position économique et stratégique qu?une Amérique dépendante d?importations coûteuses du golfe Persique, d?Afrique ou de Russie.
La France recèle des gisements de gaz de schiste. Pour le moment, l?exploration en est stoppée par une décision du pouvoir politique, liée à des considérations environnementales. Il n?est pas question d?en nier l?importance. Beaucoup de questions se posent sur la technique utilisée pour débusquer le gaz dans les couches de roches schisteuses, le fracking. Des géologues continuent de travailler sur les effets de cette exploitation des gaz de schiste sur les couches supérieures et sur les réservoirs d?eau souterrains. Le fait que les forages soient pratiqués horizontalement pose des questions différentes de celles des forages traditionnels, par des puits verticaux. Mais depuis le temps que l?on exploite du pétrole et du gaz autour de la planète, souvent dans des conditions encore plus difficiles et avec des contraintes environnementales fortes, notamment sur le continent européen, en mer du Nord notamment, des solutions techniques devraient être trouvées pour assurer une imperméabilité des forages et traiter les eaux polluées issues du fracking.
Mais deux conceptions de la croissance économique s?affrontent. La première, pragmatique, consiste à étudier le potentiel de ces gaz de schiste en France et à modéliser les effets, sur la croissance de l?économie française, d?un accès à une source d?énergie domestique et moins coûteuse que l?énergie importée, moins polluante que le pétrole et le charbon, moins polémique que le nucléaire. Si l?on suit cette logique, on devrait donc reprendre l?exploration, dans des conditions strictes naturellement, ne serait-ce que pour se donner une idée du potentiel de ces gisements. L?autre conception est celle du « saut » énergétique. Rien ne sert de s?acharner sur les énergies fossiles, qui sont condamnées à terme et qui sont contradictoires avec la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de s?engager sur la voie d?une croissance économique fondée sur les énergies renouvelables. Si l?on suit cette conception, il faut donc stopper définitivement toute exploration, refermer le dossier et concentrer nos efforts sur le développement du solaire et de l?éolien, seuls garants d?une croissance durable.
La question qui se pose aux pouvoirs publics est donc d?une brutalité redoutable : faut-il saisir une chance de redonner de l?air à l?économie française en explorant le potentiel réel des gaz de schiste, en y trouvant, au passage, une source nouvelle de revenus pour les collectivités locales ? Ou bien faut-il stopper toute recherche et tous travaux sur le sujet, compte tenu des risques potentiels pour l?environnement ? D?un côté, le lobby des entreprises énergétiques appuie fort dans le sens d?une reprise de l?exploration, en se fondant sur l?exemple des États-Unis. De l?autre, les défenseurs de l?environnement jouent sur la méfiance d?une partie de l?opinion vis-à-vis de ces entreprises et sur un certain rejet du discours technique, aussi pertinent soit-il.
Le principe de réalité, les turbulences dans lesquelles va entrer l?économie française, l?urgence de trouver des relais de croissance, devraient inciter le gouvernement à rouvrir le dossier, soit au titre du redressement productif d?Arnaud Montebourg, soit dans le cadre de la mission de Louis Gallois sur la compétitivité de l?industrie. Sans compter que cette nouvelle source d?énergie pourrait être une réponse, à moyen terme, à la problématique du prix du gaz, dans laquelle la France est engluée. Cela fait beaucoup de raisons de ne pas laisser mourir le dossier?