De quoi ces « Pigeons » sont-ils le nom ?

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  901  mots
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"Nous sommes la conséquence de la politique anti-économique du gouvernement qui a décidé de prendre les milliers d?entrepreneurs de ce pays pour des Pigeons et d?anéantir l?esprit d?entreprendre faisant dès lors courir un risque majeur pour la France". C?est par ces quelques mots que se conclut le « Manifeste des Pigeons » qui fait le buzz sur le net depuis la présentation du projet de loi de finances pour 2013 vendredi dernier. Un site, une page internet (Les pigeons, mouvement des entrepreneurs français) avec déjà plus de 15695 « j?aime », un compte Twitter (plus de 4634 abonnés) plus tard, et c?est un véritable vent de fronde libérale qui semble se lever, comme une trainée de poudre, sur les réseaux sociaux.

Bien sûr, on est vite tenté de ne voir dans ces « Pigeons » qu?une sorte de cyber-poujadisme orchestré par quelques puissants milliardaires du net, tels Xavier Niel (fondateur de Iliad-Free) ou Marc Simoncini (Meetic), en colère contre l?alignement de la fiscalité du travail et du capital qui menace directement leurs plus-values. L?originalité du mouvement des Pigeons, pourtant, est ailleurs et c?est pour cela qu?il faut prendre cette initiative au sérieux. Une jonction est en effet en train de se faire entre deux types d?entrepreneurs : de riches et moins riches patrons du net, choqués de voir la taxation des entreprises être plus lourde que celle qui frappe les oeuvres d'art, y côtoient de « pauvres » auto-entrepreneurs, dont le statut est dans la ligne de mire de la gauche qui n?y voit qu?une forme de précarité de plus. Les uns comme les autres se sentent mal-aimés et dénoncent un climat anti-business.

Il n?est jamais bon que dans un pays s?installe un tel divorce entre ceux qui gouvernent et ceux qui veulent entreprendre et créer des richesses. Depuis la rentrée, François Hollande a d?ailleurs changé de discours à l?égard des entreprises. Il a envoyé fin août le Premier ministre et plusieurs membres du gouvernement à l?Université d?été du Medef. Il a promis la stabilité fiscale jusqu?à la fin du quinquennat pour préserver tous les dispositifs spécifiques aux PME. Il a reculé sur l?ISF, en acceptant de limiter à 1,5% le taux maximal de l?impôt sur le patrimoine (au lieu de 1,8%) et de rétablir un bouclier fiscal à 75% des revenus. Il a limité à deux ans seulement la taxe à 75% sur les revenus supérieurs à 1 million d?euros et en a exclu les revenus du capital, justement pour ne pas pénaliser les créateurs d?entreprises.

Visiblement, cela n?a pas suffit pour convaincre et rassurer les entrepreneurs. Ce qui est frappant dans ce que disent ces Pigeons, c?est la critique en creux qui est portée contre le patronat, qui ne représente plus les entrepreneurs. « Force est de constater que les organisations sensées protéger l?entrepreneur démontrent aujourd?hui toute leur impuissance », écrit le manifeste dans une critique acerbe contre le Medef. Reprenant les vers du Cid de Corneille (« Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort nous nous vîmes trois mille en arrivant au port »), les auteurs affirment clairement leur intention : organiser une sorte de « Liberal Pride » en France pour faire reculer le gouvernement sur les mesures fiscales jugées nuisibles à l'entrepreneuriat. Le mouvement appelle à une grande manifestation, dimanche 7 octobre devant l?Assemblée nationale. Et s?il devenait, à l?image du mouvement de défense de l?école libre en 1984, un véritable mouvement de société, de défense de la liberté d?entreprendre ? La crainte de voir 1 million d'autoentrepreneurs descendre dans la rue a d'ores et déjà fait reculer le gouvernement, puisqu'il ne semble plus avoir l'intention de remettre en cause ce statut. En fait de réforme, il a seulement aligné le taux des cotisations sur celui des indépendants.

Du côté des entrepreneurs du net, la bataille va se jouer entre taxation du capital "productif" et "improductif". La loi de finances pour 2013 prévoit déjà un aménagement pour calmer le "roucou couroux" fiscal des pigeons. L'imposition des plus values de cession ne sera pas de 60,5% à 64,5% dés l'an prochain, parce qu'un dispositif de lissage, basé sur le système du quotient, permettra d'atténuer l'impôt , jusqu'en 2014. De même, un abattement de 40 % devrait être appliqué lorsque les parts de capital sont détenues depuis au moins 12 ans. Une façon d'inciter les entrepreneurs du net à ne pas vendre trop tôt pour développer leur entreprise, ce qu'ils ont tendance à faire en France. Mais philosophiquement, le débat capital-travail ne sera pas réglé par ces aménagements. Les "Pigeons" mènent aussi un combat "idéologique" : ils veulent  faire comprendre qu'il y a quelque chose de choquant à ce que le système fiscal français soit ainsi déséquilibré. Pourquoi faut-il en effet dans la prise de risque que les entrepreneurs assument 100% de la perte en capital en cas d'échec et que l'Etat s'accorde plus de 60% des gains en cas de succès. Il y a là selon les Pigeons une forme de désincitation à entreprendre en France dangereuse pour la création de richesse et d'emplois. A chacun de se faire une opinion.