Les États-Désunis d'Amérique

Par Phillipe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  545  mots
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L'Amérique va mal. Elle souffre pour l'essentiel des mêmes maux que les nôtres. Ils ont pour noms vieillissement de la population, endettement excessif, chômage de masse, déficits budgétaire et commercial et stagnation du niveau de vie.

Il est un domaine où elle fait pire, c'est le creusement gigantesque des inégalités, avec un écart entre les plus riches et les plus pauvres au plus haut depuis la crise de 1929. Il y a, en revanche, deux domaines où elle fait mieux, beaucoup mieux. Le premier : son dynamisme entrepreneurial, soutenu par un écosystème d'innovation qui fait l'admiration du monde entier et a fait naître des géants qui n'existaient pas il y a vingt ans.
Le second atout de l'Amérique est inscrit dans sa culture profonde : c'est la confiance inébranlable de ce peuple de migrants dans la résilience de son système capitaliste et universaliste. On aurait pu le croire menacé par la crise financière de 2008, qui a failli rayer Wall Street de la carte. Et pourtant, malgré leur immense ressentiment contre la finance, les Américains continuent majoritairement de croire en l'économie de marché.
L'Amérique va mal mais elle se redresse lentement : automobile, finance, industrie, nouvelles technologies sonnent le réveil du géant. La croissance revient, le marché immobilier va mieux, et les créations d'emplois s'améliorent, lentement. Certes, pas aux niveaux auxquels les États-Unis nous avaient habitués : 2% de croissance du PIB outre-Atlantique, nous nous en contenterions volontiers, mais c'est à peine suffisant pour faire baisser un taux de chômage dont les économistes se demandent s'il n'est pas devenu structurel. Et très insuffisant pour rétablir naturellement les comptes publics.
L'Amérique pourrait aller mieux, si elle arrive à affronter son principal défi, sa désunion. Entre l'Amérique blanche des classes moyennes, essorée par la crise, tentée par le Tea Party, et les Noirs et les Latinos, dont la poussée démographique change le pays en profondeur, le fossé se creuse. L'Amérique qui votera ce mardi s'interroge avant tout sur son identité. Pour Barack Obama, la reprise arrive bien tard et le premier président noir de la démocratie américaine, largement en tête jusqu'à l'été, est désormais au coude-à-coude avec son rival républicain, Mitt Romney. L'élection présidentielle de 2012 se jouera peut-être, en faveur d'Obama, sur une surprise d'automne, l'ouragan Sandy qui vient de dévaster la côte Est du pays en provoquant, selon les premières estimations, quelque 20?milliards de dollars de dégâts.
Pourtant, le vrai sujet est ailleurs. Plus de 80 grands patrons américains, dont ceux de Boeing et de Microsoft, viennent de lancer un appel pour que républicains et démocrates trouvent, quel que soit le résultat du scrutin, une solution pour la dette, qui est selon eux une menace pour la « sécurité » du pays. Le premier défi pour le nouveau président sera de franchir la falaise fiscale de la fi n d'année. En l'absence d'accord budgétaire, c'est l'équivalent de 3% du PIB de baisses d'impôts et de dépenses publiques qui serait effacé automatiquement, largement de quoi faire replonger le pays dans la récession. Qui doit payer pour la crise? Tel est l'enjeu principal du scrutin du 6?novembre. Jamais sans doute depuis Reagan, en 1980, la fracture idéologique n'aura été si profonde dans une Amérique en plein doute.