Le continent est (de plus en plus) isolé

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  544  mots
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Si un jour le Royaume-Uni quitte l'Union européenne, il conviendra de dater le début de cette lente dérive des îles Britanniques au 9 décembre 2011. Nous fêterons donc bientôt l'anniversaire de cette funeste nuit où David Cameron est arrivé à Bruxelles armé d'une hallucinante liste d'« opt outs », autrement dit des demandes d'exemption du droit européen qui - pour le dire vite - dispensaient la City de l'essentiel de l'effort de réglementation financière négocié à Bruxelles depuis 2008. Il s'ensuivit que Londres ne participa pas au « traité budgétaire » que la France vient de ratifier.

À mesure que La date anniversaire de cette « demande en divorce » se rapproche, la liste des blocages britanniques s'allonge de façon vertigineuse. Il y a, d'abord, les négociations sur le budget européen, les quelque mille milliards pour la période 2014-2020 que Londres menace de torpiller. Il y a ensuite le projet d'« union bancaire » porté en juin sur les fonts baptismaux. Ici, en principe, le Royaume-Uni est d'ores et déjà « out ». Mais ce n'est pas si simple. Londres assume difficilement les conséquences de son exclusion volontaire de la zone euro. Le Royaume-Uni demande un moyen de bloquer les standards qui ne lui plaisent pas dans le régulateur bancaire européen, au motif que la Banque d'Angleterre serait trop facilement minorisée face à une Banque centrale devenue surpuissante. « C'est demander de remettre en question les règles de vote des traités européens. Cela revient à dire que certains pays sont plus égaux que d'autres », s'agace un diplomate continental. En clair : la position de Londres n'est pas « fair ».Il y a, enfin, la taxe sur les transactions financières autour de laquelle Paris et Berlin ont réussi à réunir une dizaine d'États. Le 13 novembre, à Bruxelles, les ministres de l'Économie et des Finances se sont abstenus de donner le top départ de leur « coopération renforcée ». En menaçant de coaliser les mécontents (qui peuvent bloquer le cavalier seul des autres), Londres offre un formidable levier de négociation aux indécis. C'est ainsi que les Pays-Bas tentent d'obtenir un traitement de faveur - en clair une exonération - pour leurs gigantesques fonds de pension, en contrepartie d'un ralliement.

Bruxelles est peuplée de Britanniques eutrophies. La radicalisation de leur Premier ministre leur a fait perdre leur flegme. Ils rougissent désormais presque du parti pris par David Cameron, qui laisse planer l'idée d'un référendum sur le maintien du royaume dans l'Union, ce qui, en soi, devrait être une cause d'inquiétude. « Cameron a perdu le contrôle », constatait récemment l'un d'eux avec une pointe de tristesse.

Lors d'Une récente audition de la Chancelière allemande au Parlement européen, les remarques des députés de l'UKIP, le très droitier UK Independence Party, n'ont pas du tout, mais alors pas du tout amusé Angela Merkel, pourtant réputée pour son solide sens de l'humour. Ces élus l'ont invitée à pousser gentiment David Cameron vers la sortie de l'Union européenne (dont ils ont fait leur fonds de commerce électoral). « Puisque notre Premier ministre n'ose pas, aidez-le à le faire », a suggéré l'inénarrable Nigel Farrage. Comme si dire que « le Royaume-Uni fait partie de l'Europe » ne suffisait pas, la chancelière a rappelé qu'il n'y avait pas si longtemps que des soldats britanniques avaient participé, « sur le sol allemand », à la naissance de la République fédérale.« Brouillard sur l'Angleterre, le continent est isolé », titrait jadis assez peu innocemment un quotidien anglais. On pourrait aussi dire, après Alfred Fabre-Luce, que « la Grande-Bretagne est une île flottante qui, selon les inflexions de sa politique, se rapproche ou s'éloigne de l'Europe ». En ce moment, son bain de crème anglaise a clairement tendance à tourner.