Être sûrs que les banques seront sûres

Par Philippe Mabille  |   |  863  mots
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Faites un test. Prenez rendez-vous dans votre agence bancaire et demandez à votre conseiller clientèle de vous convaincre que votre argent est en sécurité. Après un court, mais éloquent silence, il vous répondra dans la plupart des cas que, de toute façon, il ne faut pas s'inquiéter, car si une banque saute, toutes les banques sauteront aussi, ainsi que toute l'économie. La France sera alors en faillite. Conclusion : c'est tout simplement... impossible. Certes! Mais bon, comment être sûrs que nos banques sont sûres et le resteront? Voilà la seule raison pour laquelle il ne faut pas se satisfaire du projet de loi sur la séparation et la régulation bancaire présenté par Pierre Moscovici au Parlement. Une loi pour rien? En tout cas pour pas grand-chose, même si elle fait un pas dans la bonne direction.

Car il en va de la sécurité bancaire comme de la sûreté nucléaire. Un seul Fukushima et cela oblige toute l'industrie nucléaire mondiale à repenser ses modes d'organisation et de communication auprès du public. Cela ne veut pas dire qu'il faut arrêter le nucléaire, mais que sa régulation, qui relève du seul pouvoir politique, doit être renforcée. L'industrie bancaire mondiale a connu son Fukushima avec la faillite de Lehman Brothers en 2008. Cet accident a démontré que les liens d'interdépendance des banques entre elles faisaient courir au monde un risque systémique. Même des banques bien gérées, ce dont personne ne doute s'agissant de la plupart des banques françaises, ont été contaminées et il a fallu que Nicolas Sarkozy décide de mettre sur la table 360 milliards d'euros de garanties publiques pour éviter la panique.
Alors bien sûr, ce genre de drames a coûté assez cher pour que personne n'ait envie de recommencer. Mais c'est le principe même de l'aléa que d'être imprévisible. Nul ne peut savoir si une nouvelle catastrophe financière n'est pas en train de couver, quelque part. En Chine? Dans les pays émergents? En Europe? L'incendie ne demande qu'à repartir d'un coup de vent venu de Chypre (bientôt le cinquième pays sous programme d'aide), de Grèce (où la Troïka se rend fin février), d'Espagne (en pleine crise politique) ou d'Italie (où les élections des 24 et 25 février tournent à la pantalonnade berlusconienne).

FAUTE D'UNION BANCAIRE, encore dans les limbes, le lien entre les dettes souveraines et les banques européennes est encore loin d'être rompu. Au contraire, les banques sont parmi les premiers acheteurs de dettes publiques, et comme elles sont elles-mêmes financées par les assureurs, qui placent l'assurance-vie en titres d'État ou de banques, le tout crée une gigantesque pyramide à la Ponzi sur laquelle repose, en bout de chaîne, l'intégrité de notre épargne. Autant confier à un ivrogne le volant de sa voiture... On comprend bien que les banques universelles souhaitent le rester, parce que cela leur permet d'offrir un profil de risque plus diversifié qu'une banque coupée en deux, soit dans le crédit, soit sur les marchés. C'est possible, mais ce schéma repose sur un non-dit qui commence à devenir bruyant : la garantie explicite et gratuite de l'État sur les dépôts. Les banques universelles ne payent pas le coût de cet avantage, tout simplement parce qu'il n'a pas de prix. Cela s'appelle une rente. Elle ne se justifie que parce que le métier de la collecte et de la gestion des dépôts des particuliers et des entreprises est considéré comme un service public.

Dans la bataille qui vient de se jouer, les banques se sont battues avec succès pour maintenir cette rente. Pourquoi ont-elles réussi? Parce qu'on est en France et que le pouvoir d'influence des banquiers, leur imbrication étroite avec la haute administration et la politique y sont très puissants. Une autre raison est que nos grands banquiers sont au fond d'eux-mêmes absolument persuadés d'être dans le vrai et que, comme ils sont plus intelligents que tout le monde, toute contestation leur est insupportable. Pour eux, le modèle de banque universelle, qui a permis de construire des géants européens, est un atout au service de l'économie française. C'est possible. Mais alors disons clairement que c'est au nom d'une politique de puissance économique que l'on n'a pas séparé les banques, ce sera plus honnête, à défaut d'être convaincant.

Aux banques de démontrer maintenant que le mini-cantonnement de leurs opérations de spéculation pour compte propre, prévu par la loi Moscovici, assurera bien l'étanchéité pour les clients. Le niveau des écluses est encore en débat. La nouveauté de la loi, c'est que désormais les actionnaires des banques sont en première ligne en cas de « paumes ». C'est simple justice. Mais si un jour le contribuable était à nouveau sollicité à cause de pertes d'une banque sur les marchés, c'est alors que l'on nous aura vraiment pris pour des pommes!