Social : ça bouge doucement, mais ça bouge

Par Eric Walther, directeur de la rédaction  |   |  687  mots
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«Quand Billancourt éternue, la France s'enrhume. » C'était il y a un siècle. Du temps où l'île Seguin portait avec fierté son drapeau de forteresse ouvrière, où Renault affichait toujours son baroque statut de Régie, où la production des constructeurs français était encore concentrée dans l'Hexagone. L'île Seguin n'a conservé de son passé automobile qu'une petite piste d'essai pour véhicules électriques, et une forêt de résidences pour cadres a poussé sur les bords de la Seine. Les pelleteuses et l'Histoire ont brisé le thermomètre social.

Nouveau tournant

Mais on ne se refait jamais complètement. L'accord de compétitivité conclu ce mercredi chez Renault marque un nouveau tournant dans son histoire. Bien sûr, et il n'y a pas matière à s'en réjouir, il va conduire à supprimer 8.200 emplois, et comporte des zones d'incertitudes notables : qu'adviendra-t-il de l'engagement à une augmentation du volume annuel de production (710.000 voitures par an contre 550.000 aujourd'hui) et, partant, de l'absence de nouveau plan social d'ici à 2016 si la conjoncture ne s'améliore pas comme on l'espère?

Il n'empêche : les syndicats (CFE-CGC, FO et CFDT) ont signé un texte prévoyant un gel des salaires en 2013 et une augmentation du temps de travail pour revenir, sur une base annuelle, à 35 heures hebdomadaires. La CGT s'est... abstenue. Pas neutre. Alors qu'au niveau de la confédération, c'est le cas aussi pour FO, on continue d'agiter des considérations radicales de principe, la base se fait plus souple.
Arnaud Montebourg ne s'y est d'ailleurs pas trompé. En se faisant - en apparence curieusement -, l'avocat de cet accord en sa qualité de ministre du Redressement productif impétueux mais aussi d'actionnaire (l'État contrôle encore 15% du capital du constructeur), il a voulu montrer l'exemplarité de ce projet. Et il a, au passage, savouré - pour une fois discrètement - le fait d'avoir contribué à faire plier un Carlos Ghosn qui n'avait certainement pas l'intention d'aller aussi loin dans les concessions.
Renault a certes perdu sa fonction de thermomètre social, mais peut-être a-t-il conquis celle de baromètre. L'issue des multiples négociations en cours et à venir nous donnera quelques indications. Ainsi celle sur les retraites complémentaires, dont le financement vacille. Là encore, l'idée d'une désindexation constitue un petit événement. Non qu'elle sauvegarde pour longtemps un modèle en partie à reconstruire. Mais le fait de briser les habitudes, de faire d'une certaine façon autrement, laisse augurer un nouvel état d'esprit pour la suite des événements, qui s'annonce sportive. Il en ira par exemple du débat sur le régime de base des retraites. Ne nous y trompons pas : la grande réforme, celle qui aboutirait à une fusion des régimes, celle qui ouvrirait la voie à un système par points, voire à la carte, ne va pas éclore comme par enchantement dans les mois qui viennent. Le corps social et politique n'est pas mûr, la crise, si elle impose d'y songer, limite aussi les changements brutaux en ce qu'ils sont inévitablement considérés comme des atteintes insupportables à ce qui est acquis.

ET POURTANT, LES SIGNAUX FAIBLES se multiplient pour nous dire que nombreux sont ceux prêts à lever des interdits. On l'a vu bien sûr avec l'accord sur la sécurisation de l'emploi, on l'a entendu lorsque la question du maintien de l'universalité des allocations familiales a été posée.
Le simple fait d'accepter de parler des principes sans pour autant les dénaturer change tout. Il ne s'agit plus de réparer des machines fatiguées mais de penser autrement. Faire preuve d'imagination et non plus montrer ses muscles. La partition n'en demeure pas moins difficile à jouer. Le gouvernement, le président de la République, tous deux au sommet de leur impopularité, doivent s'inventer un rôle dans une conjoncture calamiteuse où l'obsession du chômage a vite fait de limiter la moindre initiative. Patronat et syndicats demeurent encore lestés, en tout cas en façade, de leurs vieilles habitudes corporatistes.
Mais ça bouge. Doucement. C'est déjà ça.