Affaire Cahuzac : une opération "mini-pulite"

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  812  mots
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François Hollande avait promis de ne pas gouverner sous l'égide de l'émotion et du court terme. Force est de constater que dans la « panic room » qu'est devenu l'Élysée depuis l'aveu de Jérôme Cahuzac, cette promesse n'a pas été tenue. Mais aurait-il pu en être autrement tant le coup porté par le mensonge de l'ancien ministre du Budget en charge de la lutte contre la fraude fiscale est apparu mortel pour la « République irréprochable » vantée par le candidat socialiste de 2012.

Déstabilisé par une impopularité record qui traduit un rejet de sa politique par son propre camp, François Hollande n'a pas le choix. Il doit rétablir d'urgence la confiance entre le peuple et ses représentants pour éviter la paralysie de son action de réforme, sinon pire encore. Au départ un peu dépassé, il a donc fait des annonces fortes sur la transparence du patrimoine du personnel politique au sens très large (ministres, élus, hauts fonctionnaires) et pour mieux prévenir les conflits d'intérêts.

La transparence sur les patrimoine et les déclarations d'intérêt des ministres sont un symbole nécessaire mais très insuffisant. Ce morceau de viande lâché à l'opinion ne révèle pas grand-chose sinon que, dans la plupart des cas, la fonction politique n'enrichit pas vraiment les gens honnêtes. Surtout depuis la suppression par Lionel Jospin en 2002 des fonds secrets qui permettaient à certains ministres de partir avec des enveloppes de liquide... Connaître le détail des plans d'épargne logement, des voitures de plus de dix ans ou des fauteuils design de tel ou tel flatte le voyeurisme de l'opinion, mais ce déballage ne résout rien. Il ne faut pas oublier qu'à la base de l'affaire Cahuzac il y a une fraude fiscale et une dissimulation. La transparence ne protège pas des menteurs...

Pour être convaincant, François Hollande devra mieux articuler le trio prévention, contrôle et sanction. Prévention en réformant ce qui, dans le système français, est propice à mélanger les affaires publiques et privées. Mais où arrêter le bras ?

Faut-il étendre la transparence du patrimoine aux conjoints des ministres? Revoir les règles de pantouflage des hauts fonctionnaires en les obligeant à démissionner de la fonction publique s'ils rejoignent le privé ? Anticiper dès les élections municipales de 2014 l'application de l'interdiction du cumul des mandats, principale source de corruption en France ?

On est dans un clair-obscur qui masque l'essentiel : le contrôle et les sanctions. Là aussi, les mesures prévues ne doivent pas faire illusion : une haute autorité indépendante chargée de contrôler le patrimoine des élus, un renforcement du parquet financier, l'alourdissement des peines en matière de fraude fiscale et des règles d'inéligibilité, c'est très bien. Mais ces instruments existaient avant et n'ont pas empêché Jérôme Cahuzac de passer à travers les mailles du filet.

On le voit, il y a loin de la coupe aux lèvres. Mais d'un mal peut sortir un bien.

D'abord parce que la combinaison des affaires Cahuzac en France et OffshoreLeaks dans le monde est en train de porter un coup très sévère aux paradis fiscaux. L'Europe passe enfin à la vitesse supérieure pour généraliser l'échange automatisé d'informations fiscales. Ce n'est qu'une question de volonté politique. L'Autriche, le Luxembourg, la Suisse, le Liechtenstein comprennent que les temps changent. Parce que le seuil de douleur fiscal est atteint dans tous les pays du fait de la crise, il est inacceptable que l'impôt de tous soit plus élevé parce que des individus ou des entreprises parviennent à y échapper.

L'autre effet positif que l'on peu espérer, c'est que la transparence de la vie politique entraînera celle de la politique tout court. Or celle de François Hollande est encore pleine de non-dits. Celui qui veut réformer dans la justice peut-il encore, après ce qui vient de se passer, réformer les retraites du secteur privé sans faire de même pour le public ? La perspective d'une réforme du maquis invraisemblable de la formation professionnelle rend aussi plus nécessaire que jamais une réforme du financement des syndicats et du patronat. Alors que la justice piétine à propos des bénéficiaires du trésor secret de l'UIMM sur lequel le couvercle est pudiquement refermé, pourquoi la transparence exigée pour la démocratie politique s'arrêterait aux portes de la démocratie sociale.

Il faut être cohérent. Pour nettoyer les couloirs de la corruption ordinaire en France, François Hollande ne peut pas se contenter de publier le lundi les patrimoines des ministres et ensuite ne plus rien faire. Sinon, cela s'appelle une « opération mini-pulite ».