France de jeunes et Allemagne de vieux !

Par Philippe Mabille  |   |  799  mots
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C'est la nouvelle thèse à la mode au sein du parti socialiste qui inspire le discours anti-allemand et anti-Merkel. Entre l'Allemagne et la France, on pourrait même dire entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud, les intérêts divergeraient de plus en plus parce que la démographie européenne est coupée en deux. En gros, comme l'a expliqué récemment Arnaud Montebourg devant une assemblée choisie - le dîner du Cercle de la Revue des deux mondes, présidé par Marc Ladreit de Lacharrière, le 25 avril dernier -, un nouveau mur serait en train de s'ériger en Europe, entre les pays jeunes et les pays vieux.

Le divorce croissant que l'on constate entre une Allemagne vieillissante tétanisée par la crainte d'une inflation, qui a besoin de taux d'intérêt élevés et d'une monnaie forte pour ses rentiers, et une France plus jeune et "méditerranéenne", qui a besoin de taux bas et d'une monnaie « faible » pour relever son industrie, serait le nouvel horizon irréconciliable de la politique européenne. Cela va bien plus loin que la critique de l'austérité, réelle en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Italie, encore largement supposée en France où, à part sur le plan fiscal, on cherche encore quelles mesures dures ont bien pu être prises par François Hollande depuis un an.

Ce nouveau discours, dont les arguments démographiques sont fondés - l'Allemagne elle-même reconnaît que la politique familiale est la seule vraie réussite du modèle français et constitue son principal échec - est intéressant. Mais il est aussi très caricatural et n'est guère opérant, sauf à en conclure un divorce inévitable à terme entre les deux pays, c'est-à-dire l'éclatement de l'euro par la sortie de l'un ou de l'autre des partenaires. Or, ni la France, ni l'Allemagne, qui fêtent cette année le cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée, ne le souhaitent. L'avenir est plus constitué de ce qui nous rapproche que de ce qui nous divise.

François Hollande comme il l'a démontré lors de sa récente visite à Bruxelles et lors de sa conférence de presse, n'a pas fait sienne cette nouvelle doxa anti-allemande, qui ne change rien à la réalité française. Sa ligne, c'est au contraire d'amplifier la construction européenne avec l'Allemagne, à qui il a proposé une initiative menant à terme vers l'union politique, et qui commencera par un vrai gouvernement économique de la zone. De quoi dépasser le conflit démographique apparent entre les deux principales économies de l'union européenne.

Plutôt qu'à un divorce avec l'Allemagne, c'est à une explication de texte avec sa propre majorité que le chef de l'État est condamné pour les mois qui viennent. Dans son combat pour réorienter l'Europe, François Hollande a déjà remporté une victoire inattendue puisque Bruxelles vient de donner deux ans à la France pour revenir sous les 3 % du PIB de déficit. Un cadeau inespéré qui montre que la commission de Bruxelles n'est pas aussi stupide et bornée qu'on a bien voulu le dire, et que l'Allemagne de Merkel n'est ni intransigeante, ni égoïste. Elle est juste inquiète des retards français. Avec ce délai, le gouvernement Ayrault a tout le temps nécessaire pour prendre les mesures internes susceptibles de ranimer une croissance défaillante.

Prenons le dossier des retraites. Redonner aux Français de la visibilité à long terme sur ce sujet clé n'est-il pas le meilleur moyen de ramener la confiance qui fait défaut à un pays en grande dépression. Les entreprises se plaignent de manquer de prévisibilité du fait d'une politique fiscale et sociale qui change tout le temps. Mais pour les ménages, c'est la même chose. Qui peut dire sérieusement qu'une réforme des retraites est une contrainte imposée par le grand méchant marché, le grand méchant Bruxelles et la grande méchante Merkel. C'est bien au contraire une opportunité pour remettre à plat un problème que nous sommes l'un des rares pays à devoir remettre sur la table tous les cinq ans, voire moins (2003, 2008, 2010). Pourtant, comme on l'a évoqué plus haut, la France bénéficie dans ce domaine d'une démographie bien plus favorable que celle de l'Allemagne. Mais une telle réforme n'est possible que si la France résout en même temps son problème d'emploi. Tout est lié. Les déficits, ce sont d'abord et avant tout des déficits d'emplois. Remporter cette bataille, comme l'Allemagne a su le faire avant nous, est le seul combat qui compte. Reste à s'en donner vraiment les moyens.