Industrie : ne m'appelez plus jamais France

Alstom racheté par l'allemande Siemens, STX contrôlé par l'italien Fincantieri... Pour notre fierté nationale, c'est un traumatisme, au nom du patriotisme économique. Mais prenons garde à ne pas faire de contresens. Dans une compétition mondiale de plus en plus rude, la course à la taille est devenue vitale. Et dans cette configuration la constitution de géants européens est plutôt une bonne nouvelle.
Philippe Mabille
Pourquoi le conglomérat allemand Siemens ou le conglomérat américain GE ont-ils réussi à survivre à ces mutations, alors qu'AlcatelAlsthom a lamentablement échoué ? Défaillance des dirigeants, manque de capitaux propres pour conduire une stratégie mondiale, frilosité des banques... les causes de ce désastre sont multiples.

L'histoire s'accélère et Ambroise Roux, feu le président de la CGE (Compagnie générale d'électricité), décédé en 1999, a dû se retourner dans sa tombe. Coup sur coup, deux fleurons de l'industrie française, issus du puissant conglomérat qui s'appela un temps Alcatel-Alsthom (avec un « h »), sont passés cet automne sous contrôle étranger.

L'agonie a été longue : après Alcatel, passé dans le giron du finlandais Nokia, puis la branche énergie (turbines) d'Alstom, passée sous le contrôle de l'américain General Electric (GE), la branche Transports du nouvel Alstom est avalée par l'allemand Siemens et STX, rebaptisé les Chantiers de l'Atlantique, sera contrôlé majoritairement par l'italien Fincantieri, après il est vrai avoir été successivement norvégien puis sud-coréen.

Fin de cinquante ans d'histoire industrielle

Ainsi s'achèvent près de cinquante ans d'une histoire industrielle héritée des années Pompidou, quand l'alliance entre l'État planificateur et de grands capitaines d'industrie a permis d'accélérer l'équipement du pays. Mais nous ne vivons plus dans les années 1970. Le territoire national est déjà saturé de lignes de TGV et les enjeux, pour les chantiers navals comme pour le ferroviaire ou l'énergie, sont devenus mondiaux.

À la fin des années 1990, la France croyait encore au mythe des « champions nationaux ». Dans son rapport « L'Entreprise et l'Hexagone », publié en janvier 2001, Frédéric Lavenir (devenu président de la CNP) avait souligné le défi de souveraineté que représentait pour la France l'implantation nationale des entreprises françaises et recommandait de favoriser le développement de groupes français d'envergure mondiale ayant leur siège social en France.

Quinze ans plus tard, le constat est cruel : si les sièges sociaux sont, pour l'instant, restés en France, on ne compte plus le nombre de « champions français » passés sous contrôle étranger : Alcatel, Lafarge, Technip (qui a désormais son siège à Londres...), Péchiney, Usinor-Sacilor, l'aéroport de Toulouse, Alstom, STX...

Accélérateur de prise de conscience

Pour notre fierté nationale, c'est un traumatisme. Mais il s'agit aussi d'un accélérateur de la prise de conscience des changements du monde. Pourquoi le conglomérat allemand Siemens ou le conglomérat américain GE ont-ils réussi à survivre à ces mutations, alors qu'AlcatelAlsthom a lamentablement échoué ? Défaillance des dirigeants, manque de capitaux propres pour conduire une stratégie mondiale, frilosité des banques... les causes de ce désastre sont multiples. Le démantèlement de la CGE, nationalisée en 1982 par François Mitterrand, se confond avec l'histoire du capitalisme français, et constitue un puissant révélateur de ses fragilités.

L'heure des champions européens

Faut-il pour autant pleurer sur le lait renversé et hurler avec les loups contre la prise de contrôle rampante de l'industrie française par des intérêts étrangers ? Tous ceux qui se plaignent que le TGV français devienne « allemand » ou que les Chantiers de l'Atlantique soient « italiens » font un lourd contresens. L'heure n'est plus aux champions nationaux, mais aux champions européens. Sans compter que, en matière de fusions et acquisitions, il faut être attentif à la réciprocité : le groupe PSA-Peugeot Citroën n'a-t-il pas racheté Opel ? BNP Paribas n'est-elle pas bien placée pour reprendre Commerzbank, alors que le marché bancaire allemand est l'un des plus fermés en Europe ? Selon une enquête de PwC, en 2016, les entreprises françaises n'ont jamais autant investi en Allemagne, avec 93 acquisitions, contre 25 dans le sens inverse.

Concurrence et pression sur les prix

Dans le cas du ferroviaire, l'apparition en 2014 du chinois CRCC, issu de la fusion de deux entreprises, a créé un géant mondial qui pèse deux fois plus en chiffre d'affaires que Siemens Alstom réunis. Face à cette nouvelle concurrence, qui exerce une pression sur les prix, Alstom avait-il vraiment le choix ? Soit le groupe français restait seul, et Siemens risquait de se rapprocher du canadien Bombardier ; soit il s'alliait avec le groupe allemand, pour créer le numéro deux mondial du ferroviaire et le numéro un de la signalisation. Bien sûr, ce « mariage entre égaux » laisse la majorité à Siemens, mais l'accord prévoit de sérieux garde-fous pour toutes les décisions stratégiques. Dans le cas des chantiers navals, outre que le contrôle était déjà étranger, en l'occurrence coréen, l'alliance entre STX et Fincantieri ne donne-t-elle pas plus de garanties face au risque d'une délocalisation en Asie ?

Défaite en rase campagne du « patriotisme économique »

Nous assistons donc à la défaite en rase campagne du « patriotisme économique » version Montebourg. Celui-ci n'a pas d'autre solution à proposer que l'intervention de l'État, voire la nationalisation d'Alstom. Mais qui peut croire qu'un Alstom nationalisé aurait une chance pour conquérir des marchés publics à l'étranger ? Arnaud Montebourg a raison, sans doute, de penser que François Hollande aurait dû accepter la proposition que lui avait faite Joe Kaeser, le patron de Siemens, de créer deux « Airbus », l'un pour l'énergie sous pavillon allemand et l'autre pour le ferroviaire sous direction française. Mais c'est trop tard. En matière de stratégie industrielle, le facteur ne sonne pas toujours deux fois...

Philippe Mabille

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Commentaires 24
à écrit le 12/10/2017 à 10:56
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le plus inquiétant pour notre filière industrielle est qu'ALSTOM Enregie et ses turbines Arabelle soit passé sous pavillon Américain (GE). tout ça pour que Kron sauve son cul auprès de l'agence anticorruption américaine. un simple manque de pièces d...

à écrit le 06/10/2017 à 7:56
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Tous nos problèmes sont liés au prix de l'énergie trop bas, mais personne ne peut le comprendre.

à écrit le 05/10/2017 à 14:20
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une entreprise industrielle ou autre, mais encore plus industrielle, c' est des capitaux, et pour avoir des capitaux, il faut des actionnaires (sauf en Chine et à Cuba). Si les industries disparaissent c' est que les actionnaires n' ont pas apporté ...

à écrit le 05/10/2017 à 14:02
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Si on rapproche votre article, véritable cri d'alarme à destination du Medef et du gouvernement avec l'autre information du journal relatif à l'achat de la comertzbank par la bnpparibas plus l'achat de trois banques en italie plus les courses de sue...

à écrit le 05/10/2017 à 11:20
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Ne m'appelez plus jamais frantz Euh! l'allemagne elle m'a laissé tombé

à écrit le 05/10/2017 à 10:09
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Logique. Ca fait 30 ans que la France a decider de se lancer dans les services et d abandonner son industrie... Evidement au bout d un moment ca se voit. Et c ets pas fini car a terme les sieges sociaux vont aussi valser et c est pas les services qui...

à écrit le 05/10/2017 à 10:07
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C'est de bonne guerre "EDF, LVMH, Kearing, Danone, L'Oreal, Orange, Vivendi, Saint Gobain, Pernod Ricard, Bouygues, Michelin..." rachètent bien des entreprises en Italie, RU, et dans toute l'Europe. Personnellement je préfère me faire racheter par un...

à écrit le 05/10/2017 à 7:57
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Le mot "France" sera bientôt effacer des cartes européennes pour n'en faire ressortir que les euro-régions donc, il faut en faire disparaitre les preuves de son existence!

le 05/10/2017 à 13:12
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pourquoi le probleme se passe en france et pas en RFA ? ils font aussi parti de l UE et ont la meme monnaie ! Mais c est sur qu ils n ont pas elu des nazes pendant 30 ans ...

à écrit le 05/10/2017 à 7:20
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Il faut appliquer la note n°6 du CAE. Mais les Français sont incapable de le comprendre.

à écrit le 04/10/2017 à 23:43
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Dire que ces 2 entreprises sont bradées est faux. Alstom n'avait ^pas les moyens de se projeter dans une taille suffisante et les Américains ou Chinois 'allaient en faire qu'une bouchée. Pour STX, c'est l'illustration de la France où les Françai...

à écrit le 04/10/2017 à 22:36
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Les ouvriers français doivent s'expatrier...

à écrit le 04/10/2017 à 21:07
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Des analyses cadrée dans un tropisme européiste contextualisé, dommage de toujours regarder l' économie et en l' occurrence ces avatars décris ici via ce prisme. Je propose donc une autre vision acompagnant d' autres perspectives...

le 04/10/2017 à 21:40
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parfaitement raison sur le fond. les postes de travail sont : laver le cul des vieux et chomage pour les hommes

le 04/10/2017 à 23:15
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Et ce n 'est pas Macron Young Leader dont je rappelle ci-après la définition qui va aider l' industrie française .. « Créé en 1981, le programme Young Leaders est le programme phare de la French-American Foundation et continue de j...

le 05/10/2017 à 13:16
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le TGV c est un projet des annees 70. Arianne/airbus c est les annees 80. Apres on a fait quoi ??? C est pas de la faute a l UE si les gouvernements francais ont choisit de sabrer la R&D pour maintenir le train de vie ! C est pas de la faute a l UE...

à écrit le 04/10/2017 à 21:00
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la richesse un pays vient de la force de son industrie . ce principe se vérifie partoutans le monde et les régions. pays basques et Catalogne en Espagne la ruhr en Allemagne la lombardie et l emilia en Allemagne. faire des champions européens c ...

à écrit le 04/10/2017 à 20:16
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"il faut être attentif à la réciprocité : le groupe PSA-Peugeot Citroën n'a-t-il pas racheté Opel" Vous oubliez que PSA n'est plus un groupe français mais franco chinois ! Dongfeng est devenu le premier actionnaire du groupe PSA en droits de vote.

le 04/10/2017 à 20:59
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Mon pauvre Titou et le Quatar qui possède VW et perd des ronds avec le VVégate, on fait quoi ...? On se tape sur les côtes de lire vos propos d' enfant ...

à écrit le 04/10/2017 à 19:18
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STX n'est pas français mais coréens !

le 04/10/2017 à 19:35
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Exact ! Que ne ferait on pas pour vendre un article !

le 06/10/2017 à 6:58
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Erreur. Les coreens ont ete rachetes par Fincantieri, actionnaire majoritaire des chantiers. C'etait en septembre, le 27.

à écrit le 04/10/2017 à 19:00
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Ca c'est l'élément de langage fournit immédiatement par les politiques, de la pensée positive. Les économies d'échelle viennent quand on vend beaucoup, ce que fait l'allemagne, d'autre part les couts salariaux ne sont plus sensés être un problème ...

à écrit le 04/10/2017 à 18:54
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Notre pays c'est désindustrialisé , nous avions des fleurons , CGE, Arcelor, Alstom, Thomson , etc.... tous ces groupes ont été détruit par nos technocrates et par une fiscalité pénalisante, le manque de fonds de pension français capables de les ca...

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