Les retraites, entre le spectre de 1995 et le couperet de 2022

Par Phillippe Mabille  |   |  884  mots
(Crédits : POOL New)
Édouard Philippe monte au front. Jeudi, le Premier ministre a précisé le calendrier et la méthode de la concertation retenue par le gouvernement pour mener à bien la réforme des retraites.

Dans un climat de montée des tensions sociales sur plusieurs fronts- les retraites avec une manifestation à l'appel de FO et de la CGT les 21 et 24 septembre, mais aussi les urgences hospitalières, l'éducation, les transports publics avec la grève d'avertissement de la RATP ce vendredi - et de retour des « gilets jaunes », le spectre de la convergence des luttes plane sur l'automne social. Fin août, lors du G7, le chef de l'État a donné des signaux d'apaisement, semblant refermer la piste d'un relèvement de l'âge de départ à 64 ans comme proposé par Jean-Paul Delevoye pour relancer celle d'une hausse de la durée de cotisation, donnant ainsi un gage à Laurent Berger.

Le patron de la CFDT, qui avait menacé de rejoindre l'opposition à la réforme, s'était réjoui de cette « retraite » prudente, et avait défendu la nécessité d'une réforme plus « qualitative » que quantitative. De fait, la promesse d'Emmanuel Macron de transformer radicalement notre régime de retraite par répartition pour unifier les quelque 42 régimes existants dans un système universel à points est défendue depuis de longues années par la CFDT. Mais, en matière de retraite, comme en matière fiscale, chacun sait bien qu'il n'existe pas de baguette magique permettant de faire en sorte que le système devienne plus juste et plus redistributif d'un côté sans faire de perdants de l'autre.

Au départ, l'intention d'Emmanuel Macron candidat était de se limiter à une réforme structurelle, étalée sur une dizaine d'années pour une mise en oeuvre à partir de 2025, de sorte que ses éventuels impacts négatifs soient étalés et atténués par le temps. L'objectif était de rétablir l'égalité entre les actifs et entre les générations et de pérenniser un système au coeur du consensus social entre les Français. Mais depuis, la crise des « gilets jaunes » est passée par là et a considérablement ébranlé la confiance à l'égard de cette réforme.

D'une part, parce que le gouvernement a créé la confusion en imposant maladroitement une désindexation généralisée des pensions, pénalisant les retraités les plus modestes. D'autre part, la lance à incendie budgétaire utilisée pour redonner du pouvoir d'achat sous la pression des « gilets jaunes » a conduit Bercy et Matignon à rechercher de nouvelles mesures d'économie. Du coup, la réforme des retraites, de structurelle, est devenue « paramétrique ».

À défaut de pouvoir toucher à l'indexation ou au niveau de cotisation, le débat s'est focalisé sur l'âge de départ avec ce tour de passe-passe de l'âge pivot à 64 ans. En l'absence de transparence sur les nouveaux paramètres de calcul de sa pension à taux plein, tout le monde s'est mis à craindre d'y perdre, soit du temps, soit de l'argent. Avec la multiplication de questions concrètes. Quelle sera la pente de la décote, et de la surcote, pour bénéficier d'une retraite à taux plein ? Comment sera calculée la valeur du point d'indice ? L'État va-t-il faire main basse sur les réserves excédentaires de tel ou tel régime fourmi pour équilibrer les régimes cigales ? Si tout le monde a peur, la réforme rate son objectif premier qui était de rétablir l'équité entre tous les futurs retraités.

À cela s'ajoute un autre obstacle, celui de la résistance des corporatismes : ceux des bénéficiaires de régimes spéciaux (RATP, SNCF, EDF) qui, en 1995, avaient fait plier Alain Juppé ; mais aussi les professions libérales, les personnels de l'éducation nationale ou les cadres dont le mode de calcul des retraites serait transformé. Le risque est grand que la réforme ne fasse que des mécontents. C'est pour désamorcer cette crainte que le Premier ministre Edouard Philippe a précisé ce jeudi le calendrier et la méthode de la réforme. Sans parler de retraite, le chef du gouvernement a adopté une posture prudente pour calmer les craintes et éteindre l'incendie social qui couve : application progressive à partir de l'année 1963 seulement, avec un maintien des droits acquis et une application du nouveau système par point au prorata à partir de cette date, négociation au cas par cas avec tous les 42 régimes concernés afin de corriger les impacts, étalement l'application du régime entre 2025 et 2040, Édouard Philippe a clairement voulu donner du temps à la concertation et au dialogue. Il a aussi demandé au Conseil d'orientation des retraites une nouvelle évaluation financière pour créer un diagnostic partagé. Mais le principe de la réforme est maintenu et le texte de loi devrait être voté d'ici l'été 2020. Même si elle réveille de nombreux tigres prêts à rugir, il faut espérer que la période de concertation saura répondre à tous les malentendus, d'apporter de la transparence sur le calcul des pensions et, même si le sujet reste tabou, n'hésitera pas à créer des outils de capitalisation nouveaux et incitatifs pour compenser le niveau des retraites des actifs qui seraient pénalisés. Une chose est sûre, Emmanuel Macron joue sur cette réforme à quitte ou double, la possibilité de se représenter en 2022.