Voies sur berges : Anne (Hidalgo) et Valérie (Pécresse), parlez-vous !

Par Par Philippe Mabille, directeur de la rédaction  |   |  1000  mots
L'émiettement de la gouvernance entre la Région, seule compétente en matière de transports publics, et la Ville qui en finance une bonne partie, prend les automobilistes en otage. Pour l'instant, le blocage est total, et pas que sur les quais.

Inaugurée par le Premier ministre de Charles de Gaulle le 22 décembre 1967, la voie devenue « Georges Pompidou » en 1976 est née au coeur des Trente Glorieuses, à une époque où l'automobile était reine. Et où nos poumons urbains n'étaient pas un sujet quotidien de santé publique (9.000 morts prématurées par an en Île-de-France, 48.000 par an pour la France). Cinquante ans plus tard, alors que la polémique fait rage depuis que la maire de Paris a décidé, l'été dernier, de fermer définitivement à la circulation les voies sur berges rive droite, on a oublié que cet espace public a longtemps été réservé à l'usage exclusif des piétons, des baigneurs (au XVIIIe siècle) et des pêcheurs à la ligne.

Anne Hidalgo a bien raison de vouloir « rendre leur fleuve » aux Parisiens, pour faire de cet espace public un lieu de vie et un « corridor écologique » au coeur de la ville. Qui peut être contre ? C'était son engagement de campagne en 2014, dans le cadre du contrat signé avec ses alliés écolos. D'autres villes dans le monde ont réussi à transformer leurs autoroutes urbaines en espaces verts. Il n'y a donc pas de raison que Paris ne parvienne pas à survivre à l'abandon de 3,3 kilomètres de bitume au coeur de son centre touristique et historique.

Ambition présidentielle pour 2022

Bien sûr, pour Anne Hidalgo, l'enjeu est politique. La maire de Paris, devenue présidente du C40, qui rassemble les plus grandes métropoles du monde, ne fait pas mystère de son ambition présidentielle pour 2022. Dans le vide sidéral actuel au parti socialiste, on comprend qu'elle croie à ses chances ! La « bataille des voies sur berges » fait donc figure de test sur ses qualités politiques, pour certes imposer une direction mais aussi savoir négocier et trouver des compromis en évitant les impasses.

Pour l'instant, le blocage est total, et pas que sur les quais. Le plan qu'elle a présenté pour continuer de réduire la place de la voiture montre qu'elle ne compte pas en rester là : zone à circulation restreinte, vignettes Crit'Air, pour permettre une circulation différenciée, plutôt qu'alternée ; hausse des tarifs de stationnement, dont le service va être privatisé, poursuite de la réduction de l'espace dévolu aux voitures, avec le réaménagement des quais hauts et de la rue de Rivoli, ainsi que de sept places parisiennes... La vie des irréductibles de l'automobile va devenir un enfer très coûteux. L'objectif est clair et s'inscrit dans la continuité des voies réservées aux bus, instaurées par son prédécesseur Bertrand Delanoë : réduire de moitié le nombre de voitures dans la capitale et en bannir définitivement le diesel d'ici à 2020.

La multiplication des épisodes de pics de pollution, qui deviennent la maladie chronique de nos villes étouffées sous un dôme de particules fines, donne plutôt à la maire de Paris des raisons de continuer à se battre, avec le soutien de l'opinion parisienne. Sans oublier que le développement de la mobilité « douce » figure parmi les critères de choix des prochains Jeux olympiques de 2024, qu'Anne Hidalgo est déterminée à obtenir, pour fêter le centenaire des JO de Paris 1924.

Le rejet de la voiture, une spécificité parisienne

Il n'y a pas qu'à Paris que la voiture est de moins en moins acceptée en ville. Dans toutes les grandes métropoles du monde, les maires se posent les mêmes questions et procèdent peu ou prou de la même manière : pincer l'entrée des villes, instaurer des péages urbains (Londres, Rome ou Stockholm), interdire le centre-ville aux véhicules les plus polluants (Paris, Lisbonne), piétonniser le centre (Madrid ou Oslo). L'époque n'est plus à l'automobile reine, mais à un changement complet de civilisation urbaine, alors que des modes alternatifs de transports propres prennent le relais : les taxis et VTC, le vélo en libre-service, le covoiturage et l'autopartage, associés aux transports publics classiques, ont déjà fait reculer à 11% le poids de la voiture à Paris dans les modes de déplacements quotidiens.

Moins de véhicules mais augmentation de la congestion

Le paradoxe, c'est que malgré cette baisse continue (on est passé de 2.000 à 1.400 véhicules par kilomètre et par heure dans Paris, depuis l'an 2000), la congestion automobile progresse, avec toutes les nuisances associées. À l'arrêt, une voiture polluera toujours plus qu'en circulant : embouteillages, temps perdu, nuisances sonores avec le son caractéristique de l'automobiliste parisien énervé... Paris souffre et la polémique ne faiblit pas sur la réalité des niveaux de pollution enregistrés.

L'émiettement de la gouvernance entre la Région, seule compétente en matière de transports publics, et la Ville qui en finance une bonne partie, prend les automobilistes en otage. Ainsi, la Région accuse-t-elle la Ville d'avoir mis la charrue avant les boeufs, en agissant selon elle sans concertation, comme le montre le dernier épisode du tram-bus de la rue de Rivoli... Et la Ville reproche à la Région de n'avoir pas su mieux anticiper les besoins en transports publics : le vaste métro du Grand Paris ne sera pas livré avant le début des années 2020... Il y a un manque criant de parkings publics aux portes de la capitale... les transports publics fonctionnent mal, sont sales et peu sûrs et ne roulent pas 24 heures sur 24, comme c'est le cas dans la plupart des grandes villes mondiales... C'est cette gouvernance émiettée et inefficace qu'il faudra réformer d'abord. Et si l'on veut vraiment que les automobilistes changent de comportement, on ne peut que conseiller à Anne Hidalgo et à Valérie Pécresse de passer quelques heures ensemble en covoiturage dans un embouteillage entre la Concorde et la Bastille pour chercher ensemble des voies de conciliation. Cela sera sans doute plus efficace que d'espérer, sans trop y croire, l'évaporation hypothétique de la voiture en ville.

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