Hydrogène : énième utopie de l'UE ou comment se chauffer en brûlant des sacs Louis Vuitton !

OPINION. L'hydrogène "propre", c'est-à-dire produit à partir de l'électricité générée par les énergies renouvelables intermittentes, a le vent en poupe et fait l'objet d'une promotion par la Commission européenne. Pourtant, en examinant les faits, cette solution relève davantage de l'utopie promue à des fins politiques que d'une alternative viable pour l'avenir. Par Samuele Furfari, Professeur en géopolitique de l'énergie à l'Université Libre de Bruxelles, Docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB), et Président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels.
Selon la Commission européenne, « les coûts estimés aujourd'hui pour l'hydrogène d'origine fossile sont d'environ 1,5 €/kg dans l'UE, [...] de 2,5 à 5,5 €/kg » pour l'hydrogène « vert ».
Selon la Commission européenne, « les coûts estimés aujourd'hui pour l'hydrogène d'origine fossile sont d'environ 1,5 €/kg dans l'UE, [...] de 2,5 à 5,5 €/kg » pour l'hydrogène « vert ». (Crédits : DR)

La Commission européenne vient de présenter sa stratégie sur l'hydrogène (voir La Tribune de ce 15 juillet). Elle explique comment faire de l'hydrogène « propre » une solution viable pour une économie climatiquement neutre et construire une chaîne de valeurs dynamique de cette ressource en Europe au cours des cinq prochaines années. Elle calque ainsi l'Allemagne qui a lancé sa stratégie hydrogène il y a un mois.

Alors que les investissements en faveur de l'électricité d'origine renouvelable intermittente dans l'Union européenne (UE) ne suivent pas le rythme souhaité, des États membres poursuivent leur fuite en avant avec une solution mort-née. Pour rappel, lorsque l'UE et ses États membres parlent d'énergies renouvelables, ils ont en tête "éolien" et "solaire photovoltaïque", tout le reste étant démontré par les investissements comme étant marginal et sans intérêt environnemental. Pour eux, le fleuron des énergies renouvelables, permanentes, contrôlables, économiques et propres qu'est l'hydroélectricité est ainsi un sujet tabou. La production d'énergies éolienne et solaire étant par nature intermittente, en cas d'insuffisance de demande , l'excès doit être écoulé en payant pour s'en débarrasser, et ce coût est supporté par nous tous (voir La Tribune du 3 mars 2020). La solution serait de pouvoir stocker cette énergie, mais les promesses utopiques des politiciens et de certains industriels en matière de batteries n'ont pas et ne seront pas tenues pour des raisons intrinsèques liées à l'électrochimie.

Il ne reste plus qu'une solution : transformer par électrolyse de l'eau ce surplus d'électricité dont personne ne veut en hydrogène pour ensuite soit l'utiliser comme combustible soit le retransformer en électricité dans des piles à combustibles. C'est le rêve : une électricité propre produisant une énergie propre qui ne produit que de l'eau quand elle est consommée et qui permettra une diversification avec le véhicule électrique au cas où cette autre illusion ne ferait pas non plus long feu ! Qu'on se le dise, même les trains fonctionneront à l'hydrogène ! Cela dépasse de loin l'utopie des biocarburants, imposés en dépit du bon sens et des données scientifiques, et dont l'écho de l'échec reste fort discret. En 2008, à l'époque de la présidence Sarkozy, l'UE avait décrété une production de 10% de biocarburants pour le transport à l'horizon de 2020. Elle est maintenant passée d'un « minimum » à un « maximum » peu honorable, coûteux et polluant. A supposer que les opérations d'électrolyse et de pile à combustible aient chacune un rendement industriel de 80%, on aura perdu dans l'opération 36% de l'énergie injectée (0,8 x 0,8 =0,64).

Une première référence en 1972

La première référence à l'hydrogène que j'ai trouvée dans les rapports de la Commission européenne remonte à 1972, soit avant la première crise pétrolière. Le Journal des Ingénieurs de 1979 (n°2 - page 11) disait exactement tout ce qu'on dit aujourd'hui... avec les mêmes conditionnels. Lorsque je m'occupais de la transformation du charbon en pétrole - parce que le bruit courait qu'il n'y aurait bientôt plus de pétrole ! -, j'ai beaucoup travaillé sur l'hydrogène, élément essentiel dans cette synthèse. Ensuite ce fut en 2003 le énième retour avec cette fois comme « propandistes » le tandem Prodi-Bush. Hélas, depuis lors, aucun changement n'est intervenu, et jamais n'interviendra, car tout dépend des équations chimiques et de la thermodynamique qui régissent toute la question de l'hydrogène. Mais les politiciens n'ont que faire de la chimie, pour eux, la méthode Coué suffit : vouloir c'est pouvoir.

Mais alors quoi de neuf pour l'hydrogène ? De la propagande politicienne, du rêve et rien d'autre.

Voici les faits scientifiques. L'hydrogène est une substance chimique produite à partir de gaz naturel selon un procédé banal et répandu dans le monde entier, appelé « vapocraquage ». Cette molécule est utilisée massivement par l'industrie de la pétrochimie et de toute la chimie qui en découle, principalement pour la production d'engrais. Avec une démographie mondiale croissante, la demande d'hydrogène pour la production de fertilisants agricoles croitra au rythme des nécessités alimentaires. Cette molécule de base déjà très recherchée le deviendra de plus en plus. Grâce à cette véritable surprise en matière de géopolitique de l'énergie qu'est le gaz naturel, son marché global est de plus en plus compétitif et fluide ce qui se traduira par une réduction de son prix sur les marchés internationaux. Il faut donc prévoir une diminution du prix de production de l'hydrogène, d'une part parce que la matière première sera moins chère et d'autre part parce que le marché s'élargit.

Cependant, sa production à partir d'énergies renouvelables revient par contre beaucoup plus cher et est compliquée. Selon la Commission européenne, « les coûts estimés aujourd'hui pour l'hydrogène d'origine fossile sont d'environ 1,5 €/kg dans l'UE, [...] de 2,5 à 5,5 €/kg » pour l'hydrogène « vert ». On observera la marge qui est est un signal... politique ! Malgré les promesses répétées depuis des décennies de coûts plus bas des énergies renouvelables alors que la réalité de votre facture d'électricité affirme l'inverse, l'hydrogène « vert » restera toujours plus cher que celui produit par le gaz naturel.

Manipulation du marché par la politique

Puisqu'un produit ne peut avoir qu'un prix dans un marché ouvert, l'hydrogène « renouvelable » devra être subsidié tant qu'il y aura du gaz naturel disponible, c'est-à-dire pendant au moins un siècle. Bien entendu, certaines industries profiteront de l'aubaine de la stratégie hydrogène - comprenez la manipulation du marché par la politique - , comme d'autres l'ont fait à l'époque des biocarburants ; elles bénéficieront de prix garantis et d'une image verte, bien entendu sur le dos des contribuables/consommateurs. Il n'est donc pas surprenant qu'elles aient le 10 mars dernier conclu avec la Commission européenne une alliance, comme l'ont fait d'autres pour les batteries... et les biocarburants.

Par ailleurs, de nouveau sur un marché global - sauf à vouloir créer un vaste marché de contrebande -, l'hydrogène a pour vocation d'être utilisé en chimie et non pas comme combustible. Brûler de l'hydrogène à des fins énergétiques, c'est comme se chauffer en brûlant des sacs Louis Vuitton. Inévitablement, tout hydrogène produit finira dans la chimie et non pas dans les moteurs des véhicules. Passe encore que l'UE endoctrinée pense à le faire, mais dire avec l'Agence Internationale des Énergies renouvelables (IRENA) que c'est « une opportunité stratégique pour verdir la relance mondiale » est inadmissible pour une institution internationale quand elle sait pertinemment bien que seul 35% des Africains sont connectés au réseau électrique. Et IRENA voudrait produire de l'hydrogène à partir de leur excès d'électricité ! C'est abracadabrant, c'est indigne, c'est éthiquement insupportable.

Le comble, c'est que pour vendre du gaz qui produirait en rien moins de CO2, les Russes de Gazprom promettent d'injecter de l'hydrogène dans le gaz naturel qu'ils vendront à l'UE - à l'Allemagne principalement. Cela revient à injecter du Clos Vougeot dans de la piquette pour mieux écouler cette dernière, ce qui est plutôt grotesque.

Souvent dans la vie, lorsque l'on fait une bêtise, on en commet une autre afin de cacher la première. C'est ce qui se passe avec l'hydrogène. Il est consternant de devoir constater l'entêtement et l'endoctrinement verts dans lesquels est tombé le monde politique européen.

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(*) Dernier ouvrage de Samuele Furfari : «Énergie 2019: Hystérie climatique et croissance des énergies fossiles »

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Commentaires 34
à écrit le 16/11/2020 à 11:49
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Il ne faudrait pas subventionner la filière hydrogène, soit. Mais, on cesse de subventionner l'éolien et le solaire, et on laisse faire le marché. Je pense que le résultat sur décarbonnge ne sera pas pour demain. Lorsque je lis, ce genre d'article,...

à écrit le 23/10/2020 à 14:43
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J'abonde en grande partie cette article, l'hydrogène est une utopie qui va consoler les bobos de tout genre en attendant l'arrivée des accumulateurs au graphène qui remettront les pendules à l'heure. En réalité ce ne sont pas des accus mais des cond...

à écrit le 19/08/2020 à 18:14
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Cet article condamné l' hydrogene vert pour son cout et l auteur refuse le principe même des subventions sans même parler des tendances des évolutions ni de l'intérêt de decarbonner à court terme. Certes l hydrogene vert est cher mais la filiere d...

à écrit le 13/08/2020 à 19:24
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Tout à fait d'accord avec cet article . Cette technologie fait l'objet d'une commercialisation totalement déloyale avec des moyens financiers publics colossaux gaspillés car le concept est immature techniquement, économiquement et écologiquement. ...

à écrit le 26/07/2020 à 17:14
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Ridicule: l'interet n est pas de produire de H2 a tout prix, mais de convertir l'exces de production de electricité renouvelable qui arrive regulierement car non pilotables.

à écrit le 24/07/2020 à 20:51
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Cet article relève du lobbyisme. Il ignore tout ce qui plaide pour l'hydrogène et confond argument et ironie (Vuitton). L'hydrogène est produit dans tous les pays qui ont de l'eau ! il stocke des excédents électriques perdus. Les panneaux solaires co...

à écrit le 24/07/2020 à 9:00
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Il suffit d' avoir fait une fois un remplissage du réservoir de sa voiture en LPG pour se rendre compte à quel point il est illusoire d' envisager l' utilisation de l' hydrogène pour des véhicules de particuliers. Le temps de remplissage est au moins...

à écrit le 23/07/2020 à 14:42
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Erratum, désolé : lire le Ministère des affaires étrangères...

à écrit le 23/07/2020 à 12:59
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Lire le rapport paru sur le site du Ministère des Finances en oct 2018 sur : " L'hydrogène pour le futur de l'Australie" qui réfute en gde partie les arguments de cet article et d'autres de cet auteur. l'Australie ! Champion tte catégorie de l'énerg...

le 23/07/2020 à 20:57
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Usurpateur ! Trop long et incompréhensible . H2 encore une mauvaise idée et vive le nucléaire .

à écrit le 23/07/2020 à 11:42
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Monsieur Samuele Furfari Merci pour cet article: H2 n'a aucun avenir mais les écolos bobos et certains dirigeants qui n'y comprennent rien aiment bien en parler. Cordialement

le 18/08/2020 à 17:31
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Pardon mais je ne partage pas toutes vos cibles: les écolos bobos ont compris pour la plupart le mythe de l'H2. En revanche les dirigeants eux, rêvent de croissance infinie et sont donc volontaires. Les autres, ce sont les gilets jaunes et/ou les boo...

à écrit le 23/07/2020 à 2:21
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L'équation de la France en Chine se résume à trader de la technologie en échange de l'achat de biens de luxe ... , une équation perdante à long terme sur un marché , où nos entreprises industrielles n'ont quasiment jamais été rentables , après avoir ...

à écrit le 23/07/2020 à 2:09
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La vraie technologie pour produire l'hydrogene: Resonant Pulse Electrolysis. Casser le lien O-H physiquement par resonance. Meme principe que la spectroscopie infra rouge. On "contourne" la "deuxieme loi de la thermodynamique" car on est loin de l'eq...

à écrit le 22/07/2020 à 17:51
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C’est un peu facile de critiquer l’hydrogène en ne proposant comme alternative que le gaz naturel. Personnellement je ne suis pas très à l’aise avec les 40 000 morts par an associés à la pollution de l’air, ni avec la catastrophe annoncée du réchauff...

à écrit le 22/07/2020 à 17:38
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Problème no 1 - La surpopulation Problème no 2 - L'évolution de la démographie Problème no 3 - Le capitalisme Bizarrement, les problèmes de fond ne sont jamais discutés Si on s'attaque aux vrais problèmes, ce sera certes très très douloureux mais...

le 23/07/2020 à 9:23
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" Problème no 1 - La surpopulation" Non, avec 20 milliards d'habitants nous pourrions vire sans polluer la planète, c'est notre mode de vie et donc nos responsables qui sont déficients. Donc le problème numéro un définitivement c'est notre sy...

à écrit le 22/07/2020 à 17:18
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Article à charge. L'hydrogène est un vecteur énergétique pertinent en cas de surplus énergétique en Europe et de surproduction intermittente des énergies renouvelable. Dans l'instalation des parc éolien et solaire thermique pour palier à l’intermit...

à écrit le 22/07/2020 à 16:26
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Article clair et sensé qui démontre avec l'hydrogène ce qu'on pourrait dire de tous les plans et investissements "écologiques". Ceux-ci n'ont pas d'autre but que d'engraisser un capitalisme incapable de faire face à la compétitivité des produits étra...

à écrit le 22/07/2020 à 15:54
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Très bonne analyse par un expert réellement compétent, ingénieur ou similaire. On avait remarqué les logorrhées des "expert politiques et écologiques" souvent diplômés de la faculté d'écologie de Caracas, qui affolent tout le monde avec des prédictio...

à écrit le 22/07/2020 à 15:45
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Article particulièrement critique, je ne suis pas du tout convaincu par vos arguments. Cette orientation vers l'hydrogène me semble au contraire, être une très bonne idée. Outres les arguments concernant l'emploi, j'en vois d'autres. - D'une part ...

le 22/07/2020 à 23:56
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"Comme vous le dites très justement, l'hydrogène peut être produite à partir de gaz naturel dès maintenant. Pas besoin d'attendre que la production à partir des énergies vertes soit au point ou suffisante donc." Bah non, parce que quand il est pro...

à écrit le 22/07/2020 à 15:37
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"Il est consternant de devoir constater l'entêtement et l'endoctrinement verts dans lesquels est tombé le monde politique européen" Merci. Une belle analyse indispensable, un contre argument qui fait du bien surtout quand on connait la mythom...

à écrit le 22/07/2020 à 15:24
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Article particulièrement critique, je ne suis pas du tout convaincu par vos arguments. Cette orientation vers l'hydrogène me semble au contraire, être une très bonne idée. Outres les arguments concernant l'emploi, j'en vois d'autres. D'une part l'...

à écrit le 22/07/2020 à 14:28
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Malgré tous les inconvénients, coûts, production, stockage, c'est pourtant dans un futur proche la seule solution "raisonnable" pour les transports routiers... Le gazogène peut être ?

à écrit le 22/07/2020 à 14:08
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Toujours intéressant de lire tous les points de vue mais je trouve la démarche un peu trop critique. J'ai eu un peu cette réflexion quand j'ai vu ce nouvel engouement pour l'hydrogène car il est vrai que plusieurs tentatives ont déjà eu lieu. Par ex...

à écrit le 22/07/2020 à 13:55
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Tout à fait d'accord , encore une fois , ces multinationales sous couvert d’écologie avec la complicité des associations , veulent mettre en place des infrastructures pour reproduire le modèle pétrolier avec ses millions de camions pour ravitailler ...

à écrit le 22/07/2020 à 13:42
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Je croyais que c'était 25% le rendement de la pile à combustible (un peu comme les réacteurs nucléaires vs l'électricité produite). Rien n'est parfait, hélas. Ça serait étonnant de n'avoir qu'une technique, tout est mosaïque de systèmes complémentai...

le 23/07/2020 à 0:03
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Sauf que les stations de recharge bien faites (Tesla et les quelques Ionity) n'ont pas qu'une borne. Pour Tesla c'est 8 en moyenne et souvent 12 voire 16. En plus ils déploient des chargeurs plus rapides, en 15mn on aura récupéré suffisamment. E...

à écrit le 22/07/2020 à 13:16
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d'accord pour la critique mais dans ce cas , quelles sont vos solutions ?

le 22/07/2020 à 15:10
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Je présume que la solution raisonnable est de continuer avec les fossiles. Faire de la recherche sur les éventuels coups de chance en renouvelables et attendre que l'énergie de fusion devienne commercialement rentable. (Horizon 2100 en l'état de la r...

le 22/07/2020 à 18:55
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On peut démarrer par des solutions simples.Limitation du poids et de la cylindrée des véhicules.Gratuité des transports en commun.fluidification des axes routiers.Relocalisation de la production.Tarifs progressifs de l'électricité.etc....Tout ceci es...

le 23/07/2020 à 0:09
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La solution, pour les particuliers au moins c'est les véhicules électriques à batterie avec réseau de chargeurs digne de ce nom pour les longs voyages. 2 ans et demi en VE, devoir aller faire mon plein 1 ou 2 fois par semaine (comme c'était le cas...

le 23/07/2020 à 10:40
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Continuer à consommer de l'énergie abondante et pas chère grâce à la trouvaille chère à l'administration Trump de " charbon propre" pour détricoter la réglementation pénalisante mise en place sur cette filière par Obama. Du reste, cette initiative a...

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