L’Illusion nucléaire a encore frappé !

Par Collin Jean-Marie  |   |  678  mots
Jean-Marie Collin, nucléaire, défense,dissuasion. (Crédits : DR)
La Loi de programmation militaire (LPM) 2019/2025 vient d'être adoptée au Sénat. Trente sept milliards d'euros vont être budgétisés pour l'arsenal atomique ; soit une augmentation de 60% par rapport à la LPM précédente. Le tour de passe-passe consistant à écarter les sujets sensibles qui affaibliraient la politique de dissuasion a encore fonctionné. C'est ainsi que se fabrique « L'illusion nucléaire ». Par Collin Jean-Marie, Expert Vice-président de Initiatives pour le désarmement nucléaire.

Les prestidigitateurs sont incroyables, même les adultes se laissent prendre. Ceux-ci attirent votre attention sur quelque chose d'éloigné de ce qu'ils réalisent en même temps et ensuite vous présentent la réalité. Cela marche à chaque coup ! Le problème, c'est lorsque l'illusion met en jeu la sécurité de la population.

Un consensus parlementaire illusoire

Le ministère de la Défense, avec son principal assistant le ministère des Affaires étrangères, est un maître dans l'art de l'illusion. La LPM, sous couvert de débats qui n'ont rien à voir avec la transparence revendiquée par nos magiciens, engage la France dans un processus de renouvellement complet de son arsenal nucléaire. Tout va donc changer (missiles balistiques et de croisière, ogives nucléaires, sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, avions de combat) pour que la dissuasion nucléaire, "la clef de voûte" de la défense selon la terminologie du Président Macron, se poursuive.

L'illusion d'un consensus parlementaire a été construite par de magnifiques tours de passe-passe. L'exemple le plus criant est cette volonté de ne pas voir apparaître un amendement - déposé par la sénatrice Conway-mouret (PS) - qui proposait qu'un "grand débat national soit initié afin que les citoyens s'approprient cette thématique". Le président Cambon (Républicain) - avec le soutien du gouvernement - lui a demandé de le retirer sous le prétexte que "c'est quelque chose de très compliqué et de très lourd à organiser". De plus, a-t-il poursuivi, il ne serait pas judicieux de mettre en lumière les opposants à cette politique ! Apparemment, la sécurité des français ne mérite pas de débat public ! Ne serait-il pas assez intelligent pour comprendre ? Enfin, comment doit-on concevoir une démocratie où l'on ne souhaite pas entendre des avis contraires ?

37 milliards d'euros pour l'armement nucléaire

La LPM (comme les votes budgétaires annuels de la défense) devrait constituer un moment privilégié du débat public. En réalité, le Parlement n'a plus, dans la pratique actuelle, qu'un rôle secondaire en matière de budget militaire et, plus largement, de politique de défense. À peine quelques jours de débat pour examiner une loi qui prévoit de consacrer 37 milliards d'euros pour l'armement nucléaire. Le chiffre est d'ailleurs difficilement décelable dans le texte, puisque les magiciens ont pris soin de "découper" la loi en deux : d'une part 2019/2023 puis jusqu'en 2025. De ce fait, la plupart des parlementaires et commentateurs mettent en avant le chiffre de 25 milliards comme coût de la dissuasion, oubliant les 12 autres milliards attribués à cette force ; sous prétexte d'une discussion en 2023...

Cette LPM est exceptionnelle, car elle lance la conception de systèmes d'armes nucléaires dont certain seront utilisés jusqu'en 2080. Étonnement, les parlementaires semblent avoir oublié qu'ils ont écrit, quelques mois plus tôt*, que "la menace cyber peut faire peser des risques sur la dissuasion, d'ordres à la fois techniques et doctrinaux" et que "les systèmes de commandement, de contrôle et de liaison d'information utilisés dans le cadre de la dissuasion peuvent être vulnérables à des attaques cyber de grande ampleur qui auraient pour objet de rendre inopérant l'ordre nucléaire".

Comment peut-on expliquer que ces élus, qui ont pour volonté de protéger la France, ignorent par leur vote un risque susceptible de remettre en cause leur politique de défense (ici la dissuasion) et donc la sécurité qu'ils prétendent créer ? L'illusion nucléaire rendrait-elle aveugle à ce point ?

À l'heure où les armes nucléaires ont vocation à devenir illégales, lorsque le traité d'interdiction des armes nucléaires entrera en vigueur (probablement fin 2019) ; il est temps que les autorités gouvernementales et parlementaires engagent un processus de réflexion honnête et complet avec toutes les composantes de la société. Dans un domaine aussi sérieux que celui de la sécurité des français, il est temps de rompre définitivement avec l'illusionnisme nucléaire.