12.000 milliards de dollars de PIB en plus grâce au travail féminin !

Par Rakesh Mohan et Anu Madgavkar  |   |  1158  mots
Rakesh Mohan, ancien vice-gouverneur de la Réserve fédérale indienne, est directeur de recherche au Jackson Institute for Global Affairs de l'université de Yale
Si chaque gouvernement s'inspirait des meilleurs pratiques de son continent pour promouvoir le travail des femmes, le PIB mondial s'en trouverait accru de 12.000 milliards de dollars. Par Rakesh Mohan et Anu Madgavkar*

La réduction de la disparité entre les sexes pourrait générer de considérables bénéfices économiques. Selon le McKinsey Global Institute (MGI), si chaque État aidait ses concitoyens à rattraper le pays de la région qui a fait le plus de progrès en matière d'égalité des sexes, le gain annuel sur le PIB mondial pourrait atteindre 12 000 milliards de dollars en 2025.

L'égalité des sexes est aussi un impératif moral, au nombre des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, adoptés en 2015 par 193 pays. Outre le gain économique global qui s'en suivrait, l'investissement dans l'amélioration de la condition féminine transformerait des millions de vies.

Comment dès lors réaliser cette immense avancée ? L'égalité économique des sexes ne pourra être atteinte si l'on ne travaille pas à leur égalité sociale. Les deux tâches doivent être menées de front. Une part importante de la réponse tient à l'amélioration de l'accès aux services indispensables tels que l'éducation et le planning familial.

 Un gain équivalent à six à huit fois les dépenses requises

Le MGI estime que les investissements annuels supplémentaires nécessaires pour ouvrir à celles qui en ont besoin ces services indispensables se situent entre 1 500 et 2 000 milliards de dollars. On peut comparer ces chiffres à ceux des dépenses estimées pour les mêmes services en 2014, qui se montent à 6 300 milliards de dollars. En d'autres termes, le gain économique potentiel en 2025 pourrait atteindre six à huit fois les dépenses requises.

Dans six domaines - l'éducation, le planning familial, la santé maternelle, l'accès aux services financiers et informatiques, et enfin l'aide aux soins et aux travaux domestiques non rémunérés -, une intégration renforcée pourrait libérer le potentiel économique des femmes et contribuer à atteindre les cibles fixées par les ODD en matière d'égalité des sexes. Partout dans le monde, l'aide aux soins et aux travaux domestiques non rémunérés offre d'immenses possibilités, mais il est aussi largement possible d'améliorer l'accès aux services financiers et informatiques en Asie du Sud, et l'Afrique sub-saharienne a grand besoin de réaliser des progrès dans le domaine de la santé maternelle.

 Éducation, accès aux services financiers, à l'eau potable...

Si nous voulons suivre la voie tracée par les ODD, il faut inscrire à l'école 58 millions de filles supplémentaires et 60 millions de garçons. Quelque 224 millions de femmes doivent en outre obtenir l'accès aux services financiers ordinaires pour que cesse complètement la disparité entre les sexes. Et environ 445 millions de personnes ont besoin d'une meilleure distribution d'eau potable, ce qui contribuera à réduire la part des soins et des travaux domestiques non rémunérés effectués par les femmes dans les pays en développement.

Cet ambitieux programme ne pourra être mis en œuvre efficacement sans l'action des États travaillant de concert avec le secteur privé et les organisations non gouvernementales. Il nécessitera des investissements supplémentaires, la création d'emplois pour les femmes, et des mesures qui les aideront à obtenir un travail plus productif.

 Généraliser des actions existantes

Le MGI a identifié plusieurs opérations actuellement conduites de par le monde qui pourraient facilement être généralisées. Parmi les mesures dont on sait qu'elles favorisent l'accès à l'enseignement, on peut compter la construction d'un plus grand nombre d'établissements d'enseignement secondaire, l'assurance que des équipements sanitaires seront disponibles pour les filles dans les établissements qui les accueillent, mais aussi la mise en place d'incitations financières - y compris des transferts d'argent liquide - pour augmenter le nombre d'inscriptions et maintenir les filles à l'école.

Pour ce qui concerne le planning familial et la santé maternelle, les priorités sont l'augmentation du nombre des personnels de santé, ainsi que le développement des services d'urgence et de santé maternelle dans les zones rurales. L'amélioration des chaînes logistiques pour la délivrance des contraceptifs et l'éducation sexuelle à l'école comptent aussi parmi les mesures importantes.

Développer les services à la petite enfance

L'une des manières les plus efficaces de réduire le temps passé par les femmes à des travaux domestiques et de soins non rémunérés demeure le développement des services à la petite enfance, qu'ils soient financés par la puissance publique, par les employeurs ou par les usagers eux-mêmes. Les technologies numériques peuvent contribuer à ce que plus de femmes aient accès aux services financiers, mais à condition que les pays étendent leur infrastructure et contribuent à l'alphabétisation financière et numérique des femmes.

Ces mesures devront bien sûr être financées, mais selon le MGI, 60% des pays peuvent disposer de recettes fiscales supplémentaires grâce à l'accroissement du PIB que générera l'autonomisation des femmes. Lorsque ces nouvelles recettes budgétaires ne seront pas suffisantes, l'investissement privé pourra être sollicité. Ainsi la législation votée cette année par l'État de New York, a-t-elle établi des fonds de congé parental alimentés par les cotisations des employés et des employeurs.

Plus de congés parentaux chez les hommes

Mais les mesures politiques ne suffiront pas si l'habitude empêche les gens d'user de leurs nouveaux droits et d'utiliser les nouveaux services mis à leur disposition. Même en Suède, où l'égalité des sexes est très avancée, des enquêtes montrent qu'environ 33% des hommes prennent un congé parental contre une proportion de plus 75% chez les femmes. Certes, en dernière analyse, l'implication dans l'activité domestique non rémunérée ou dans l'activité professionnelle rémunérée, relève du choix personnel, mais les us et coutumes peuvent à l'occasion être infléchis s'ils font obstacle à une véritable liberté de choix.

Il y a lieu d'être optimiste. De nombreux pays en développement, dont l'Inde, ont désormais atteint un point de basculement, car la réduction rapide de la disparité entre les sexes dans l'éducation y favorise des gains potentiellement énormes imputables aux perspectives économiques qui s'y ouvrent aux femmes. Aux États-Unis, l'État de New York n'est pas le seul à avoir pris des mesures pour permettre le congé parental payé. Et la diffusion rapide des technologies numériques favorise d'une façon absolument nouvelle l'accès aux services financiers et les opportunités d'emploi.

Enfin, la prise de conscience des gains économiques immenses résultant de la lutte contre les disparités entre les sexes est en progrès. Nous disposons de 12 000 milliards de dollars pour inciter à cette prise de conscience.

Traduction François Boisivon

Rakesh Mohan, ancien vice-gouverneur de la Réserve fédérale indienne, est directeur de recherche au Jackson Institute for Global Affairs de l'université de Yale et Distinguished Fellow de la Brookings India. Anu Madgavkar est partenaire du McKinsey Global Institute.

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