Sortir du nucléaire, un non-sens industriel !

Par Francis Sorin, directeur de l'information, Société française d'énergie nucléaire (SFEN)  |   |  755  mots
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L'abandon du nucléaire ne peut s'envisager sans dégâts économiques et sociaux. Il amplifierait le processus de désindustrialisation de la France, que chacun entend pourtant combattre. Il signerait également une perte d'indépendance et un recul stratégique.

Comme il l'a clairement indiqué, François Hollande ne reprendra pas à son compte l'objectif de "sortie du nucléaire" que ses alliés écologistes le somment avec insistance d'adopter. Cela paraît d'autant plus exclu que, comme la plupart des responsables politiques, il s'inquiète de la désindustrialisation qui ronge l'économie française et proclame l'urgence de stopper ce processus. Or, sortir du nucléaire reviendrait à organiser le sabordage d'un des secteurs les plus vigoureux de l'industrie française et à amplifier dangereusement le processus même que l'on prétend combattre !

Le nucléaire en France, c'est 125.000 emplois directs, pour la plupart hautement qualifiés et relativement bien payés, et 410.000 emplois au total en tenant compte des emplois indirects et induits, soit 2 % de l'emploi dans le pays. On peut certes admettre que le développement des énergies renouvelables, se substituant partiellement au nucléaire, sera créateur d'emplois. Mais c'est une illusion de croire que ces énergies pourront compenser les postes supprimés et offrir du travail à tous les salariés "sortis" du nucléaire : le compte n'y sera pas, ni en termes quantitatifs ni en termes de qualification et de statut. Et que dire de la valeur ajoutée totale créée chaque année en France par l'industrie nucléaire, environ 33 milliards d'euros, soit 2 % du PIB : ce n'est pas impunément, sans dégâts économiques et sociaux, que l'on pourra ruiner un tel acquis, même si son détricotage est étalé sur quinze ou vingt ans.

Sortir du nucléaire, ce serait du même coup dévitaliser tout un tissu industriel fait de 450 PME, souvent dépositaires d'un savoir-faire irremplaçable. Parallèlement aux grands groupes comme EDF, Areva, le CEA (Commissariat à l'énergie atomique) ou GDF Suez, les activités nucléaires françaises sont assurées par ces réseaux d'entreprises de moindre dimension qui ne sont pas seulement des gisements d'emplois mais qui sont aussi des défricheurs dans leurs domaines de compétences. Les technologies ainsi mises au point irriguent beaucoup d'autres secteurs industriels et contribuent aux avancées en matière de robotique, de télémanipulation, de soudage, de génie mécanique, de microélectronique, de contrôles - non destructifs, etc. Renoncer au nucléaire serait se priver d'une force d'innovation qui profite à l'ensemble de l'économie nationale.

Le nucléaire, c'est aussi un des rares secteurs de haute technologie où la France fait la course en tête sur le plan mondial. Ce leadership ouvre à notre pays, pour les vingt ans qui viennent, de considérables opportunités à l'exportation : beaucoup de réacteurs arrivent en effet au terme de leur existence théorique. Ils seront, pour la plupart, soit prolongés, moyennant des opérations de rénovation, soit remplacés. Dans les deux cas, le secteur nucléaire français a la capacité de proposer son offre et de décrocher d'importants contrats. Il possède avec l'EPR (1.650 MWe) l'un des réacteurs les plus avancés aujourd'hui sur le marché mondial et avec l'ATMEA un réacteur tout aussi innovant dans des gammes de puissance inférieure (1.100 MWe). Ces capacités exportatrices doivent être d'autant plus cultivées que la vente d'un seul réacteur à l'étranger génère en France, durant les phases d'étude du projet et de construction, environ 1.200 emplois directs et quelque 3.700 au total en comptant les indirects et les induits. Dans la période actuelle, les exportations "nucléaires" rapportent au pays environ 6 milliards d'euros en moyenne chaque année. Le chiffre d'affaires futur peut s'envisager de façon encore plus optimiste.

Se priver délibérément d'un tel apport (dont nul n'imagine qu'il puisse être compensé par des exportations liées aux énergies éolienne ou solaire) serait une ineptie économique, un coup sévère porté à l'industrie française. La France de l'électricité expérimente depuis trente ans une situation remarquablement paradoxale : alors qu'elle est dépourvue de matières premières énergétiques, elle affiche dans le domaine électrique les trois grands atouts d'un pays abondamment pourvu en ces mêmes matières : sécurité d'approvisionnement, coûts raisonnables, capacités d'exportation ! C'est à l'industrie nucléaire qu'elle doit cette situation inespérée. Sortir du nucléaire renverrait la France à sa condition initiale de pays énergétiquement "dépourvu", obligé de s'adresser à l'extérieur pour fabriquer l'essentiel de son électricité. Une désindustrialisation qui s'analyserait aussi comme une perte d'indépendance et un recul stratégique.