De l'urgence de réindustrialiser la France

Par Valérie Segond, journaliste à La Tribune.
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La France ne retrouvera pas de croissance durable, et donc pas d'emploi pour tous, sans une véritable réindustrialisation de son territoire. Ce consensus, qui a émergé à Lyon, n'est certes pas un scoop. C'est lui qui a présidé, depuis 2005, à d'innombrables rapports et initiatives publiques, lancés sur le constat que la Chine s'était imposée grâce à l'efficacité de sa politique industrielle. Mais ces initiatives n'ont pas stoppé l'effroyable destruction du tissu industriel depuis vingt ans : entre 2000 et 2010, le poids de l'industrie dans l'économie française est passé de 17,8% à 12,6% du PIB, soit une perte de 5,1 points. A ce rythme, il n'y aura plus d'industrie en France en 2035, soit dans une génération. Avec un déficit commercial qui dépassera cette année les 70 milliards d'euros, la France commence à être assimilée par les marchés à l'Espagne et la Grèce, ces économies structurellement sous-compétitives. Cette fois, il y a urgence. La réindustrialisation n'est plus le mot d'ordre de candidats aux extrêmes de l'échiquier politique. Elle est devenue l'obsession de tous.

Seulement, comment faire ?

Car si une chose est claire, c'est surtout ce que l'Etat ne doit plus faire, comme l'explique Lionel Fontagné, professeur à l'Ecole d'économie de Paris : tenir l'information, qui guidera ses choix, des lobbies industriels toujours prompts à capter les subventions publiques ; continuer de soutenir, au nom de l'emploi local, des industries en déclin ; favoriser enfin les fameux "champions français" comme le faisait feu l'Agence de l'innovation industrielle conçue par Jean-Louis Beffa, en pariant qu'ils draineront derrière eux les PME. Car "36 infractions à la loi des contrats sont pratiquées tous les jours par les grands groupes français au détriment de leurs fournisseurs", dénonce le médiateur de la sous-traitance, Jean-Claude Volot : des changements de prix en cours de contrat au vol pur et simple de brevets, en passant par le débauchage de salariés stratégiques, etc... Ni en Allemagne, ni chez les nouvelles puissances émergentes, il n'en va de même : "En France, poursuit-il, la sous-traitance est une zone de non-droit où les plus petites entreprises sortent broyées, et où les grands groupes restent totalement impunis." Résultat, dit Patrick Artus de chez Natixis, et auteur avec Marie-Paule Virard du livre "la France sans ses usines" (Fayard), "17% des PME françaises de plus de 250 salariés se vendent chaque année à un grand groupe, non à cause de l'ISF, mais sous l'effet du découragement. Au bout de cinq ans, toutes les PMI qui ont réussi auront fini par se vendre." Ajoutant : "Plus qu'un problème de coût du travail - il est en France de 33 euros de l'heure comme en Allemagne -c'est toute une conception de la puissance reposant sur le rapport de force et le conflit dans laquelle baignent nos élites qui a condamné notre politique industrielle à l'inefficience."

Alors que faire ?

Tout le monde préconise un "choc d'offre" basé sur l'innovation et les gains de productivité : en particulier, défend Patrick Artus, il faut redonner le goût de la physique et de la chimie dès l'école primaire. Mais quelle spécialisation choisir ? Faut-il arroser tous azimuts les 65 pôles de compétitivité grâce auxquels les entreprises d'un même secteur travaillent en réseau ? Ou faut-il, comme le préconise Valérie Rabault, coauteure avec Karine Berger de l'ouvrage "Les Trente Glorieuses sont devant nous", investir massivement, 90 milliards d'euros d'argent public sur trois ans, sur les trois secteurs où la France a su conquérir une vraie place dans le monde, à savoir l'énergie, les transports et la santé, au risque de replonger dans les travers d'une politique colbertiste ? A ce jour, aucun réel consensus n'émerge sur la stratégie à suivre. Car la conception de la spécialisation optimale a évolué : "Ricardo défendait une spécialisation dans laquelle chacun choisissait une branche et vendait ses produits au monde entier, rappelle Patrick Artus. En fait, dit-il, dans sa théorie moderne du commerce, Paul Krugman a révélé que l'essentiel du commerce mondial se fait intrabranche : les pays échangent les mêmes biens, leur spécialisation repose sur le niveau de gamme choisi. Pendant que l'Allemagne s'est positionnée sur le haut de gamme, qui lui confère un pouvoir d'augmenter ses prix, l'essentiel de l'industrie française produit du milieu de gamme sur lequel elle a perdu tout "pricing power"." Un choix qui est à la fois cause et conséquence des faibles taux de marge et taux d'investissement des entreprises industrielles françaises. En modifiant les normes industrielles en vigueur, l'Etat pourrait inciter les entreprises à monter en gamme.

Seulement, comment procéder ?

Car la conflictualité des relations économiques est telle en France que le chantier de la réindustrialisation paraît immense, et paraît devoir s'attaquer à la formation de nos élites. "Comme en Allemagne, c'est dans la coopération que la France se reconstruira une industrie, dit Patrick Artus. Coopération entre grands groupes et PMI, comme en Allemagne et en Chine, entre entreprises et universités, et surtout entre Etat et entreprises, etc." Car là aussi, la France semble avoir tout faux ; lors d'une enquête récente, Ernst & Young demanda à des patrons de PME : "l'Etat vous aide-t-il ?" 75% des patrons français ont répondu "non", quand 70% des Allemands répondaient "oui". Décidément, rien ne se fera sans une réforme de l'Etat.

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Commentaires 2
à écrit le 15/11/2011 à 15:34
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Il faut revaloriser le travail manuel, l'apprentissage, l'économie locale, retourner en arrière, mieux organiser les régions pour favoriser l'exportation des PME, je vis en Amérique du nord depuis 20 ans, je peux vous dire qu'il y a de la place pour ...

à écrit le 15/11/2011 à 12:49
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A moyen terme je propose de supprimer tous outils et qui ont pour acronymes: lean, 5S, 6 sigma, iso 9000, codir, rse, etc.. et pour 2012 suspendre tous les audits qui les accompagnent. Cela fera gagner des vraies journées de travail: les agents de...

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