Prélude à la mort de la philanthropie

La remise en cause des déductions fiscales pour dons aux associations, prévue par l'amendement Carrez dans la prochaine loi de finances, aurait des conséquences redoutables. Donner ne relève en rien d'une démarche d'optimisation fiscale, mais bien au contraire, témoigne d'un acte généreux en faveur d'une association ou d'une fondation agissant dans le champ de l'intérêt général.
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Un amendement parlementaire propose de faire rentrer les déductions fiscales pour les dons dans les niches, donc de plafonner le montant des dons. Une niche fiscale est un avantage consenti en face d'une prestation comme l'aide à la personne, stimulation de la construction de logements (dispositif Scellier, par exemple).

Donner ne relève en rien d'une démarche d'optimisation fiscale, mais bien au contraire, témoigne d'un acte généreux en faveur d'une association ou d'une fondation agissant dans le champ de l'intérêt général, tel que défini par l'Etat. En aucun cas, l'avantage fiscal, réduction de son impôt de 66% du don effectué, n'est un remboursement. Un donateur qui a donné 100 euros a fait le choix d'en donner une partie sous forme de l'impôt et une partie à une cause de son choix. Donner coûte toujours plus cher au contribuable que de s'acquitter simplement de son impôt.

Le débat de la commission des Finances montre que cette disposition a été prise sans aucune concertation et sans mesurer les effets dramatiques d'une telle proposition.

Les conséquences sont triples :

1. Une réduction drastique de la capacité de dons par le plafonnement de la déduction. Les donateurs qui apportent le plus de dons en volume sont évidemment les plus gros donateurs, ce qui, pour les associations, peut représenter 30%, voire plus, de leurs ressources. Les fondations de redistribution, par leur forme de création, dépendent majoritairement de gros dons. Par exemple, la Fondation de France a distribué 127 millions d'euros en prix, bourses et subventions, pour 8.000 projets dans tous les domaines. Cet amendement réduirait sa capacité d'intervention d'au moins 50%.

Par ailleurs, le mouvement de création de fondations, particulièrement fort depuis quelques années, s'arrêtera brutalement. Ce dispositif des fondations est moins connu du public, mais il est aujourd'hui une pièce maîtresse dans la redistribution des financements privés, notamment à des milliers d'associations et chercheurs.

2. Une diminution massive de la capacité d'intervention sur tous les problèmes de société. La réintégration dans le budget de l'Etat des sommes récupérées après l'amendement Carrez ne viendra certainement pas compenser le financement du travail fait par les associations et fondations au niveau national ou au niveau local. Ces organisations sont le filet de sécurité de notre société.

Qui prendra en charge les personnes ne trouvant pas de logement ? Qui apportera les repas à tous ceux qui dépendent de l'aide alimentaire ? Qui accompagnera les enfants déscolarisés ? Ces exemples, parmi tant d'autres, reflètent la réalité d'une société de plus en plus frappée par la crise laissant sur le bord du chemin un nombre croissant de personnes. Tous les élus savent que dans leur ville (quelle qu'en soit la taille), dans chaque village, les associations apportent des services de proximité dont ils ont besoin, et qu'elles ne pourront trouver aucun financement public, tant la situation budgétaire est tendue. Hors de l'action sociale, le système fiscal actuel permet aussi de financer des milliers de chercheurs qui sont engagés dans la bataille contre les grands fléaux. On pourrait aussi citer l'aide humanitaire qui est un fleuron de l'action française à l'étranger, la création artistique et l'environnement.

3. L'atteinte d'un secteur économique à part entière. A la réduction des subventions aux associations par l'Etat et les collectivités, viendra s'ajouter une importante diminution des dons. Ceci aboutira à la disparition, à court terme, d'un grand nombre de structures. Cette question est rarement évoquée, pourtant cela représente dans ce secteur 1,8 million d'emplois. Lors du dernier trimestre 2010 et des deux premiers trimestres 2011, le secteur associatif a perdu 26.000 emplois (source Acoss-Urssaf), chiffre qui ferait la une de toute la presse, dans n'importe quel autre secteur.

Cet amendement est donc une mesure contre-productive, qui se trompe de cible. En voulant taxer les riches, il fragilise tout l'édifice de solidarité en faveur des plus fragilisés et démunis, et fait peser la menace de perdre le précieux maillage territorial de fondations et associations.

Cela porterait une atteinte décisive à l'expression d'une société solidaire : qui peut dire aujourd'hui que l'on peut en faire l'économie ?

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Commentaire 1
à écrit le 07/12/2011 à 14:27
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