"Il faut agir comme les Etats-Unis l'ont fait avec leurs dettes de guerre"

L'économiste et professeur d'économie, conseiller scientifique au Cepii et à Groupama AM, s'inquiète de la propension à stigmatiser ses voisins, qui s'étend sur l'Europe, et l'éloigne d'un accord politique de plus en plus indispensable pour sortir de la crise.
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Comment lisez vous l'élargissement des "spread" sur la dette française, mais aussi néerlandaise ou finlandaise ?

La Finlande étant un des Etats les moins endettés d'Europe, cela signifie que le doute des marchés ne porte plus seulement sur la capacité des Etats à rembourser leurs dettes, mais aussi et surtout sur la capacité de l'Europe à résoudre la crise de son fonctionnement. Dans une zone euro qui, prise globalement, a une balance courante équilibrée et un taux d'endettement tout à fait supportable pour la taille de son économie, les dettes publiques d'un Etat membre ne devraient pas poser problème s'il existait une solidarité entre les pays membres. Mais, dans les règles actuelles, le fait de faire financer son économie par des non résidents pose problème. Si le Japon, qui supporte un endettement public de 220% de son PIB, parvient encore à se financer avec des taux très bas, c'est parce que l'Etat se finance à 95% avec les résidents, largement via les produits d'épargne postale. C'est bien l'incapacité des gouvernants de la zone euro à mener une véritable coopération économique et financière qui pose problème.

Mais quand l'Union européenne impose à tous les pays attaqués par les marchés une effrayante cure d'austérité, d'où peut venir le salut ?

Il est clair que l'austérité n'est la solution que si et seulement si une demande extérieure forte fait plus que compenser la chute de la demande intérieure dans les pays les plus contraints par les programmes de consolidation budgétaire. Dans des pays qui n'ont plus la capacité de dévaluer la monnaie, la demande ne peut venir que de l'intérieur de la zone. Ainsi, soit l'Allemagne qui accumule des excédents courants de 5,5% de son PIB, se montre enfin coopérative en relançant sa demande intérieure pour tirer l'économie du reste de l'Europe. Soit l'Europe se réveille enfin et lance un grand programme d'investissement à l'échelle de l'Union : l'agenda de Lisbonne, cela ne suffit pas. On a besoin d'interconnections dans les transports routiers et ferroviaires, ainsi que dans l'énergie. On devrait investir pour être à la pointe des innovations climatiques, domaine où on avait de l'avance. Or rien de tout cela ne se fait. Bruxelles ne réalise pas à quel point la sortie de crise par l'austérité commence à menacer sérieusement l'équilibre social et politique de la zone. Une austérité indéfinie pour tous n'est pas tenable : il faut une vision du futur ! Depuis le début, le traitement de cette crise par la zone euro a été dramatiquement sous dimensionnée ou mal conçu.

Mais comment sortir de cette énorme dette qui écrase toutes les économies des pays développées ?

En théorie, il existe plusieurs solutions : primo, l'hyper inflation qui détruit les dettes. Secundo, la destruction du capital, comme ce que l'on a fait entre les deux guerres en Europe, et comme en Grèce aujourd'hui : à force de déclencher des faillites en chaînes, les dettes s'annulent... mais l'économie aussi se détruit. Tertio, en maintenant des taux d'intérêt extrêmement bas, comme au Japon. Mais s'il parvient à préserver une croissance faible, c'est grâce à sa base industrielle qui dessert une zone géographique très dynamique. Reste la voie qui me semble la plus appropriée pour traiter la crise actuelle : celle qui a été utilisée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni après la deuxième guerre mondiale pour leurs dettes de guerre. En 1945, n'oubliez pas que les Etats-Unis avaient des dettes qui s'élevaient à 130% de leur Pib, et le Royaume Uni, 260% ! Il s'agit de maintenir des taux d'intérêt réel très bas, à un niveau inférieur au taux de croissance de l'économie. C'est cet écart qui réduit mécaniquement et régulièrement le poids de la dette, même avec un déficit public primaire. C'est une stratégie qui repose sur deux piliers, comme l'ont fait les Américains : ils ont d'abord suspendu l'indépendance de la Fed, entre 1945 et 1951, pour qu'elle s'efforce de maintenir les taux longs le plus bas possible. Ils ont ensuite fait un plan de dépenses publiques massives pour aider l'investissement privé : le plan Marshall. C'est la seule sortie vers le haut, mais elle ne peut se faire sans la coopération des Etats qui doivent se mettre d'accord pour que la BCE joue pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort des Etats ; ce qui est la condition même de l'intégrité du système bancaire européen. Et surtout, il faut se laisser du temps, et ne pas essayer de rétablir l'équilibre budgétaire en trois ans. C'est très précisément ce que font les Etats-Unis aujourd'hui : ils maintiennent les taux à zéro, et laissent filer l'inflation au-dessus de 3%. La crédibilité de cette politique dépend d'une programmation budgétaire à long terme, associée à une politique industrielle européenne.

L'Europe pourrait-elle faire de même ?

Pas sans un véritable fédéralisme budgétaire, pas sans accord politique pour modifier les statuts de la BCE et lancer une politique de relance commune. Or aujourd'hui, les conceptions de l'Europe sont antagoniques : chacun fait reporter la responsabilité de la crise sur les autres. Cette propension à stigmatiser son voisin qui s'étend sur l'Europe est très inquiétante, et pourrait prendre un fort mauvais tour. La crise est désormais à la fois tout aussi économique que politique.

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Commentaire 1
à écrit le 18/11/2011 à 11:25
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Il devrait prendre sa retraire...Keynes est mort avec la globalisation

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