"L'interventionnisme de l'Etat est contre-productif"

Le leader syndical (CFDT) fustige le comportement de l'Etat dans les affaires Areva et PSA. Il l'accuse de manquer de vision de long terme et de gérer au gré de l'actualité politique.
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Lorsque l'AFP a révélé un plan de restructuration chez Areva, le ministre de l'économie, François Baroin, a affirmé qu'il n'y aurait aucun licenciement dans les entreprises publiques. Qu'en pensez vous ?

Quand une entreprise passe un cap difficile, l'intervention immédiate du politique pour tenter de rassurer la population se révèle souvent pitoyable. C'est une manière pour le politique de dire à l'entreprise que son avenir ne l'intéresse pas, et qu'il ne doit en aucun cas venir perturber l'actualité politique. Or Areva se trouve aujourd'hui confronté à une double difficulté : une sérieuse baisse de son carnet de commandes liée à la catastrophe de Fukushima. Et une place à trouver dans la filière nucléaire française, entre EDF et le débat politique. Il ne faut pas se voiler la face : si on empêche Areva d'ajuster ses coûts à la nouvelle configuration du marché, le groupe réalisera ses ajustements ailleurs, en réduisant ses investissements ou sa recherche. L'intervention étatique est totalement contre-productive. La question n'est pas la légitimité de l'Etat à intervenir, mais sa capacité à agir en actionnaire éclairé, dans l'intérêt à long terme de l'entreprise et de ses salariés. Garant de l'intérêt général, l'Etat actionnaire devrait être garant de l'intérêt à long terme de l'entreprise.
On n'attend pas de l'Etat un interventionnisme colbertiste, mais qu'il soit un Etat stratège et régulateur.

Après avoir aidé PSA au plus dur de la crise, en fonds propres comme par la prime à la casse, l'Etat n'était il pas légitime à demander au groupe de suspendre son plan de réduction d'effectifs ?

Cela fait plusieurs années que le secteur automobile vit une situation compliquée : le marché automobile est devenu aussi mondialisé que banalisé, avec un centre névralgique qui se déporte en Asie et une filière qui s'étend sur des secteurs aussi différents que la mécanique, l'électronique, l'électrique et les nouveaux matériaux, etc. Cela fait plusieurs années aussi que la direction de PSA et les syndicats travaillaient sur la gestion prévisionnelle des emplois, et les annonces de restructurations s'inscrivaient dans les accords existants. Lorsque l'Elysée déclare, juste après avoir vu le patron de PSA, Philippe Varin, qu'il n'y aurait pas de plan social chez PSA, ce n'est que de l'agitation médiatique pour répondre à l'émotion suscitée par les annonces de PSA. Car, en vérité, ce n'est pas l'Elysée mais PSA et les partenaires sociaux qui vont gérer la situation dans la durée.

Comment, selon vous, les entreprises gèrent-elles le ralentissement actuel de l'activité ?

La vérité est que, avant de recourir aux plans sociaux stricto sensu ou aux licenciements économiques, les entreprises ont de nombreux moyens de gérer leurs effectifs à la baisse. C'est avec leurs sous-traitants, leur CDD et l'intérim qu'elles gèrent les fluctuations d'activité. L'économie française est beaucoup plus flexible que ce que l'on dit.

Alors l'Etat stratège, qu'est ce que cela veut dire ?

Qu'il pose clairement les enjeux de la compétitivité économique : forme-t-on les étudiants aux compétences dont le monde du travail aura besoin ? Assure-t-on, par une bonne coopération entre le secteur public et le privé, une recherche de bon niveau ? Le cadre légal et fiscal, qu'il soit national ou européen, favorise-t-il l'activité économique à moyen et long terme ? Est-il suffisamment stable pour inspirer confiance ? Mais quand il intervient sur le terrain social, et impose son agenda aux partenaires sociaux dans l'entreprise, il remet en cause la capacité des partenaires sociaux de prendre en charge les problèmes de l'entreprise. Si l'Allemagne s'en sort mieux, c'est aussi parce que le dialogue social étant moins conflictuel, il permet aux salariés de mieux intégrer l'intérêt de l'entreprise, dont découle celui des salariés. C'est un facteur important de la compétitivité des entreprises. Quand l'Etat français réagit à l'émotion suscitée par la mauvaise distribution des richesses par la prime sur les dividendes, comme il réagit à un fait divers, il ne prend pas les moyens de résoudre le problème sur le fond. Cet interventionnisme est totalement contre productif, sur le plan social comme sur le plan économique.

La prime sur les dividendes ne partait-elle pas d'un bon sentiment, celui de mieux redistribuer la richesse produite ?

Les bons sentiments ne suffisent pas. Il oublie de dire que les résultats d'une partie des sociétés du CAC 40 sont réalisés à l'étranger. Et que les sous-traitants comme les intérimaires, qui sont exclus de la redistribution des profits, font aussi partie intégrante de la chaîne de valeur. Quant à lancer ce genre de proposition après que les partenaires sociaux aient négocié durement les rémunérations, cela ne fait que perturber la vie des entreprises et créer une forte déception chez les salariés qui, au mieux, se retrouvent avec des primes dérisoires. La question des rémunérations dans l'entreprise relève d'une analyse complexe que l'on ne peut régler par le simplisme. La vraie question c'est comment repenser le dialogue économique pour que les salariés aient une meilleure connaissance de ce que fait et va faire l'entreprise ; comment repenser et enrichir le dialogue social dans l'entreprise pour qu'il porte sur les conditions de la production et du partage de la valeur.

Conscient de ce que vous avancez, le gouvernement a largement encouragé la négociation sociale...

Au début du mandat de Nicolas Sarkozy, le gouvernement a effectivement respecté les termes de la loi Larcher, qui impose une obligation de négocier lorsque l'on traite de questions sociales. Cela a permis de construire des accords structurants sur l'évolution du marché du travail et la représentativité notamment. Il a en revanche multiplié les obligations de négocier dans les entreprises sur l'emploi des seniors, la pénibilité, l'égalité professionnelle, etc. En imposant un calendrier par le haut, il n'a pas permis que s'organise une véritable discussion pour trouver les solutions. Aujourd'hui il ne se soucie guère du point de vue des partenaires sociaux. Les deux plans de rigueur annoncés à trois mois d'intervalles, ont été conçus sans aucune concertation, alors que la CFDT avait proposé un sommet social. C'est ainsi qu'il se livre à un concours Lépine pour diminuer l'indemnisation des arrêts maladie et qu'il a imposé la taxation sur les complémentaires santé, autant de sujet qui touchent pourtant directement les garanties sociales.

Le gouvernement doit toutefois faire face à une situation d'urgence...

Cela fait trois ans que les chefs de gouvernement européens agissent sous la contrainte et dans l'urgence, sans jamais anticiper ce qui va se produire dans les six mois qui viennent. Or l'Europe ne se construira que dans la durée : il faut que les décisions qui seront prises avec les autres pays européens soient pérennisées au-delà des alternances politiques. Le problème est que ni le PS, ni l'UMP ne proposent une vision de l'Europe en phase avec les changements du monde. En cinq ans de présidence de Nicolas Sarkozy, la France aura eu cinq ministres des affaires européennes, à savoir Jean-Pierre Jouyet, Pierre Lellouche, Laurent Wauquiez, Bruno Le Maire et Jean Leonetti ! Et en cinq ans, dans notre pays, qu'a-t-on fait de structurant en matière de dialogue sur l'Europe ?

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Commentaires 2
à écrit le 02/12/2011 à 17:16
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Et donc, la CFDT renonce du même coup à toute forme de subvention, directe ou indirecte ? Y compris aux petits montages ficelés entre Edmond Maire et Robert Lion, lui même cédétiste et DG de la Caisse des Dépôts, concernant l'immobilier confédéral ?

à écrit le 02/12/2011 à 15:48
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si tous les syndicalistes français étaient aussi intelligents, honnêtes et responsables que celui-ci, la France se porterait beaucoup mieux !

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