Le Fonds européen, une nouvelle dérive de la finance ?

Par Henri Bourguinat, professeur émérite.
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On est déjà loin de l'ambiance presque consensuelle de l'accord de Bruxelles du 27 octobre. Sur un point, un certain embarras commençait dès ce moment à apparaître sur la nature et le fonctionnement du Fonds de stabilité, quel que soit son nom à l'avenir. Deux incertitudes majeures apparaissent à son propos et ce, dès son origine. D'abord, son fameux "pouvoir de démultiplication ", qui ferait passer sa capacité d'intervention en théorie de 440 milliards d'euros (en réalité 250 milliards disponibles) à plus de 1.000 milliards. L'étonnante multiplication des pains annoncée (quadruplement) passe soit par un mécanisme d'assurance des dettes émises par les banques des pays en difficulté, soit par un mécanisme de compactage des créances inspiré des dérivés des crédits synthétiques, et porté par des véhicules ad hoc. Ceux-ci investiraient dans les titres de la dette, le Fonds ne fournirait que la mise de fonds initiale, le reste étant trouvé auprès d'investisseurs privés. Les SPV interviendraient comme rehausseurs de crédit à partir d'une tranche de capital qui absorberait les premières pertes. Ils refinanceraient ensuite les titres ainsi acquis auprès de banques qui, à leur tour, pourraient les céder à la BCE.

On retrouverait ainsi la logique de la titrisation des crédits subprimes, sans doute très efficace pour transférer le risque, quitte à en perdre souvent la traçabilité mais en procurant presque nécessairement de substantielles commissions. On sait encore combien, au début de la crise grecque, les dérivés de crédit bien que simples ("credit default swaps "), qu'ils soient "nus " ou "adossés ", sont devenus les vecteurs principaux de spéculation par la menace de déclenchement en série des "événements de crédit " y afférents.

La deuxième grande incertitude, avec ce projet de Fonds, est celle de la gouvernance. Elle risque fort de se révéler délétère. Elle sera d'abord dépendante de la notation des pays qui en garantissent la valeur et, en cas de perte du triple A de l'un des pays fondateurs (comme cela semble se profiler), des ajustements douloureux sont à prévoir. Et plus le Fonds étendra son champ d'action (prêts, recapitalisations, rachats de titres), et plus il mettra à mal ceux-là mêmes qui sont censés garantir les obligations qu'il émet pour financer ses interventions. Rien ne dit que si ses interventions vont trop loin, la signature des États qui le garantissent ne se détériore plus encore.

On rappelle aussi le danger potentiel de toutes ces garanties données généreusement par les États (dont, au premier rang, la France) aux pays européens en difficulté et au Fonds de stabilité lui-même, dont on dit qu'elles ne sont en rien de la dette alors qu'on ne devrait jamais perdre de vue la probabilité (non nulle) de défaut. Nul ne peut dire à quel taux la mutualisation des risques d'une structure surchargée de dettes de qualité très diverse obligera le Fonds à emprunter. Le vocabulaire lui-même ne trompe d'ailleurs pas ; on retrouve les "credits default swaps ", le recours aux rehausseurs de crédit ou aux "véhicules " et autres "structures ad hoc ", à la titrisation formelle ou informelle, au hors-bilan, etc.

En somme, la boucle se referme. Pour s'endetter toujours plus et sans douleur, une seule solution, a-t-on dit en octobre à Bruxelles : ajoutons un étage supplémentaire à la pyramide financière ! On en viendrait presque à soupçonner un arrangement "gagnant gagnant " entre les banques et les États. En résumé, obtenir autant - ou plus - d'endettement contre plus de finance ! Tel serait le maléfique secret de l'endettement sans pleurs. De tout cela, on ne peut augurer rien de bon et, si l'on veut vraiment progresser, il faudra passer par autre chose. Sans doute, pour la France, renationaliser sa dette (augmenter la part souscrite par les résidents - moins de 40 % aujourd'hui) et, ensuite, parvenir à en racheter une partie à l'exemple de ce que commencent à faire avec succès nos amis belges.

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