L'élection présidentielle se joue à Berlin

Pierre-Yves Cossé est ancien commissaire au Plan.
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Jamais dans l?histoire de la Vème République, un scrutin présidentiel n?avait été autant surdéterminé. Les programmes des candidats et leurs affrontements négligent cet état de contrainte qui vide la compétition d?une part de son contenu. La priorité de tout gouvernement français en juin 2012 sera de traiter de ces crises et de mettre au panier la littérature électorale.

La crise de l?endettement, d?abord. La France n?est plus un être majeur et autonome disposant de tous ses droits, elle est devenue pour un temps dépendante. Cette période de mise en tutelle pourrait être courte car l?effort à faire est limité par rapport à ceux consentis dans d?autres pays, une quarantaine de milliards pour l?Etat, la Sécurité sociale et les collectivités locales. Malheureusement, cette période pourrait se prolonger du fait d?une très faible croissance potentielle résultant d?une forte désindustrialisation et d?une perte de compétitivité, alors que certaines dépenses progressent de façon quasi mécanique (retraites, santé). Le risque de rechute est élevé pour cette France qui vit au-dessus de ses moyens, et qui ne pourra sortir de cette situation qu?en produisant plus.

La seconde crise, celle de l?euro, complémentaire de la première, paralyse notre vie économique et politique. Elle passe très au-dessus de la tête des candidats, sans prise sur les événements. Et même le président en place parle plus qu?il ne pèse. Son talent n?est pas en cause, mais la voix d?un pays sous quasi-tutelle financière n?est guère entendue. Ce talent sera-t-il suffisant au point que le changement de pilotesoit perçu comme un risque supplémentaire, inacceptable ? Ce n?est pas certain, au vu de ce qui se passe en Europe.

Comment le candidat de la gauche doit-il se comporter ? Les sages diront, en minimisant la crise, en restant flou, et en tentant de faire rêver les poches vides et percées. Mais "faire comme si" présente des risques considérables : inciter à l?abstention, favoriser les extrêmes, préparer une crise majeure pour le jour où, en cas de succès, il faudra gouverner. François Hollande a conscience de la difficulté, il annonce la rigueur et a retardé, avec raison, l?explicitation de son programme. Pourra-t-il en janvier aller plus loin, expliquer qu?un programme détaillé n?a pas sa place dans un contexte aussi instable et dangereux, et s?en tenir à une méthode et à des priorités ?

Il n?y a qu?une voie réaliste ouverte au candidat de la gauche, se comporter en homme d?État et échapper aux agitations du jour et au diktat des communicants. L?homme d?Etat évitera les facilités et ne sera pas à la recherche de boucs émissaires, les marchés, les banques, la chancelière. Il sait qu?il aura besoin de l?appui des autres. Il combattra le président en place sans faiblesse mais sans excés sachant que la critique excessive pourrait rapidement se retourner contre le nouveau président. Il fera oeuvre pédagogique, expliquant les enjeux et la situation exacte. Ses mots-clés pourraient être ceux de Mario Monti (!) "rigueur, croissance, équité".

Sur la "rigueur ", si l?objectif doit être précis, le calendrier importe : décisions rapides et douloureuses mais mise en oeuvre étalée dans le temps, l?objectif étant à la fois d?être pris au sérieux par les marchés et d?obtenir du temps pour un retour à l?équilibre. Les perspectives de croissance se situeront dans une vision longue, celle du développement durable. Le plus urgent est d?accroître notre compétitivité et de réindustrialiser par des mesures structurelles (PME, formation, recherche, énergie). L?équité, elle, concernera d?abord les jeunes et les chômeurs, cette priorité passant par la réforme fiscale et une redistribution des transferts sociaux.

Enfin, l?homme d?Etat doit réfléchir, sans forcément se découvrir, à l?après. Si le scénario catastrophe se réalise, le seul gouvernement des socialistes (appuyé mollement par les Verts) n?est pas adapté à une situation aussi exceptionnelle. Il faut réfléchir à l?impensable, à l?Union nationale (ou au moins à l?élargissement de la majorité) ou à un gouvernement de technocrates, avec des limites dans le temps, et le recours à des procédures exceptionnelles comme les ordonnances, comme avait fait le général de Gaulle en 1958 pour rétablir la situation économique.

François Hollande cache-t-il un homme d?Etat sous l?apparence d?un aimable candidat et est-il prêt à se découvrir avant l?élection ? Puisse-t-il se ménager toutes les éventualités ; par exemple en s?abstenant de déclamer contre les gouvernements de technocrates à la Monti (démocratiquement investi par le Parlement) ou les centristes de tout poil.

Selon la politique décidée à Berlin, notre élection présidentielle se présentera sous un jour différent. Imaginons que l?Allemagne se mue en puissance bienveillante et apporte les clés à la solution à la crise de l?euro ? Elle en a les moyens. La chancelière devient un nouveau "général Marshall " faisant sienne le devenir de l?Europe ? Les Etats-Unis ont compris en 1947 qu?ils ne pourraient développer leur industrie et leurs exportations sans des clients en bonne santé. Les Allemands pourraient faire le même raisonnement en 2012. Depuis deux ans, leur discours et leur politique ont déjà fortement évolué. Ils prennent conscience qu?une Allemagne riche dans une Europe qui s?appauvrit n?est pas une perspective tenable. Le vaincu de 1945 prendrait la place du vainqueur et la France pourrait être admise dans son camp à condition d?être à la fois rigoureuse, modeste et efficace et d?utiliser ses cartes politiques.

Seule, elle peut réduire les critiquesface à la montée d?une "Europe allemande ". Sans la caution de la France, une phobie anti-allemande gagnera la plus grande partie de l?Europe. Le candidat de la gauche de gouvernement saura-t-il reconnaître que le sort de notre pays est hypothéqué et qu?un redressement comparable à celui qui a suivi la Libération est la seule voie possible ? Pourra-t-il obtenir la confiance de nos concitoyens et leur en redonner sur de telles bases ? C?est l?enjeu des prochains mois.

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