Les mirages de la TVA sociale

Par Jean-Charles Simon, économiste en chef de Scor  |   |  807  mots
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On attribue beaucoup de vertus à la TVA sociale, qui permettrait d'alléger les cotisations. En fait, les réformes de ce type à prélèvements constants se révèlent souvent neutres économiquement, voire négatives, en raison des ajustements incertains par les prix. Le bonneteau fiscal ne peut tenir lieu de politique économique.

Depuis quelques semaines, le débat sur la "TVA sociale" revient en force. À l'instar de projets analogues de transferts des cotisations sociales vers d'autres prélèvements, le motif en paraît bien légitime : alléger les charges exorbitantes pesant en France sur les salaires. Ces propositions ne sont d'ailleurs pas nouvelles. La création puis la hausse de la CSG ont eu en partie cet objet, pour la part salariale des cotisations sociales, notamment lors du transfert massif des cotisations maladie vers la CSG sous le gouvernement Jospin. Même si le but principal était bien, en l'espèce, de disposer d'une assiette plus large, frappant tous les revenus, pour financer des dépenses sans cesse croissantes...

À niveau de prélèvement inchangé, un simple basculement des cotisations sociales sur la TVA, la CSG ou encore l'impôt sur le revenu, n'est au mieux qu'une clarification. D'un point de vue économique, de tels transferts ont des conséquences difficiles à appréhender, avec des effets qui peuvent s'opposer et une résultante souvent proche de zéro. La "TVA sociale" séduit notamment parce qu'elle donne le sentiment de "faire payer" les produits importés, ce qui l'apparente d'ailleurs beaucoup à une dévaluation. Mais si les biens importés n'ont pas de concurrents domestiques (dont la compétitivité serait censée bénéficier de la baisse concomitante des cotisations sociales), il y a fort à parier que l'effet sera plutôt négatif sur la consommation, et parfois celle d'autres biens, car ils ne sont pas toujours substituables. Pour être concret, il est illusoire d'imaginer que davantage de TVA sur les écrans plats et les smartphones, tous importés, se traduira par une forme de contribution indirecte de leurs fabricants étrangers au financement de la protection sociale en France... Il est en fait probable que les ménages maintiendront leur niveau de consommation "TTC", en arbitrant parmi leurs dépenses, et rien ne dit que ce soit au détriment des produits importés ! Les réseaux de distribution, en France, pourraient aussi supporter en partie les conséquences négatives d'une telle hausse de TVA.

Il faut relativiser, de la même façon, les espoirs de gains de compétitivité à l'export qu'apporterait un mécanisme de type "TVA sociale". Ce qui est gagné a priori sur le coût du travail peut s'évaporer rapidement du fait de la hausse de la TVA et donc des prix, dont ceux des produits importés entrant dans la réalisation des biens et services ensuite exportés - surtout si les exportateurs supportent des rémanences de TVA -, et sous l'effet des revendications salariales qui devraient en résulter. Il n'y a d'ailleurs, en la matière, aucune structure des prélèvements qui semble s'imposer : si les performances du Danemark sont souvent citées en exemple pour justifier la "TVA sociale", les Pays-Bas ou l'Allemagne - même après la hausse de 2007 - ont un taux normal de TVA inférieur au nôtre et des performances à l'exportation qui n'ont rien à envier à celles du Danemark.

Des réformes fiscales sans diminution du total des prélèvements peuvent entraîner un peu de redistribution - dans les schémas proposés, plutôt au profit des salariés et au détriment des "inactifs" - mais se révèlent souvent neutres d'un point de vue macro-économique. Car la concurrence et les prix s'ajustent pour absorber leurs effets directs, en fonction des élasticité- prix; et ont parfois des conséquences négatives, notamment si la conjoncture rend les ajustements asynchrones, voire asymétriques. Par exemple, les prix ont tendance à s'ajuster plus vite que les salaires, l'effet inflationniste d'une hausse de TVA pouvant saper la hausse de pouvoir d'achat des salariés devant découler de la baisse simultanée des cotisations sociales. Quand bien même il serait justifié pour des raisons d'équité, de redistribution ou de transparence, le bonneteau fiscal ne peut tenir lieu de politique économique.

Pour la France, le vrai sujet est celui de dépenses publiques qui dépassent depuis 2009 les 56 % du PIB avec, en parallèle, des prélèvements obligatoires qui pourraient atteindre le niveau sans précédent de 45 % du PIB en 2012. Comme il apparaît urgent de faire - enfin - moins de déficit et que le coût des intérêts de la dette, qui va atteindre les 90 % du PIB, risque de se renchérir, un cadre de dépenses inchangé ne pourrait se traduire que par une flambée des prélèvements obligatoires. Dans un tel contexte, le risque d'un simple transfert fiscal est qu'on n'en retienne finalement que la hausse de certains impôts, en différant à demain, ou à jamais, les baisses qui devaient les compenser...