Saint Louis et les Mongols

La Chine est redevenue une puissance économique mondiale. Certains experts la projettent déjà au centre du monde dans quinze La Chine est redevenue une puissance économique mondiale. Certains experts la projettent déjà au centre du monde dans quinze ou vingt ans. Une sorte de renaissance de l'empire du Milieu, un siècle après la chute de la dernière dynastie chinoise, les Qing, le 12 février 1912, lorsque le jeune empereur Puyi, alors âgé de 6 ans, dut abdiquer. La dynastie mandchoue des Qing marqua le déclin de la Chine, surtout à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, sous les coups de boutoir de la Grande-Bretagne, de la France et des Etats-Unis. La Chine est alors livrée aux appétits de croissance et d'enrichissement des puissances occidentales. Spectaculaire retournement de situation : c'est aujourd'hui la Chine qui fait peur. Une nouvelle page se tourne dans l'histoire longue et mouvementée des relations de la Chine et du monde extérieur. En cinq épisodes clés, La Tribune en retrace les principaux temps forts. Pour mieux comprendre la façon dont la Chine se voit aujourd'hui...
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"Avis sur le voyage en Chine à partir de Tana..." Cet ouvrage, écrit entre 1335 et 1343 par le Florentin Francesco di Balduccio Pegolotti, homme d'affaires et marchand, qui n'avait jamais mis les pieds en Chine mais avait recueilli scrupuleusement les récits des voyageurs vénitiens, est probablement le premier guide pratique des affaires en Chine jamais publié en Europe. Tana était le nom d'une colonie de marchands génois et vénitiens installés à l'embouchure du Don, sur la mer d'Azov, point de départ des nombreuses missions marchandes et religieuses qui s'élançaient alors vers la Chine, en traversant l'Asie centrale.

Dés le début du Moyen Âge, la Chine a exercé une véritable fascination sur l'Europe qui, longtemps, ne l'a connue que par les récits rapportés d'Orient et recueillis auprès de marchands arabes. Au début du XIe siècle, la Chine connaissait son âge d'or, sous la dynastie des Song du Nord et du Sud (960-1279). Sa population était supérieure à 100 millions d'habitants (contre moins de 50 millions en Europe). La capitale des Song du Nord, Kaifeng, située sur la rive méridionale du fleuve Jaune, comptait près de 1,4 million d'habitants, vers l'an 1100. Elle était le centre de la région économique la plus peuplée du monde, véritable grenier à blé du pays, dont les communications intérieures étaient assurées par le Grand Canal, vers le Nord, et un réseau de voies navigables et de lacs, couvrant environ 50.000 kilomètres. En 1078, la Chine du Nord produisait déjà 100.000 tonnes d'acier par an (grâce à la méthode de la décarbonisation), alors que sept cents ans plus tard, l'Angleterre n'en produisait que la moitié.

C'est sous les Song du Sud, que le commerce extérieur de la Chine prit son envol. On importait alors à Kaifeng et Hangzhou des épices, et notamment du poivre, en provenance de toute l'Asie du Sud-Est, grâce au génie maritime des marchands musulmans mais aussi aux navires chinois qui longeaient vers le Sud les côtes de l'Asie orientale et poussaient jusqu'en Inde et en Afrique orientale. C'est à cette époque que la Chine inventa la monnaie de papier et les effets de commerce. La multiplication des innovations technologiques, la généralisation de l'imprimerie, la création d'une caste de fonctionnaires lettrés participèrent au rayonnement d'une dynastie dont les fastes commençaient à exciter les fantasmes en Europe. Le seul problème est que m'on ne savait pas réellement comment y aller, sans rencontrer sur sa route les guerriers turcs qui coupaient la route de l'Asie aux chrétiens.

Ce sont les Mongols qui vont favoriser la rencontre entre l'Occident et la Chine. En 1206, Gengis Khan se rend maître de la Mongolie, un empire des steppes, battu par les vents et miné par les luttes tribales. En une vingtaine d'années, jusqu'à sa mort, en 1227, il effectue une percée fulgurante et meurtrière vers l'Ouest, conquiert l'essentiel de l'Asie centrale, de la Perse orientale, s'installe sur la mer d'Azov, franchit le Caucase pour s'enfoncer en Russie. En même temps, ses généraux se livrent aux passe-temps favoris des cavaliers mongols : piller les riches villes chinoises. Ils entrent dans Pékin en 1215. En 1260, Kubilay Khan, l'un des petits-fils de Gengis Khan, prend la tête de l'Empire mongol, poursuit la conquête de la Chine, dont il se couronne lui-même empereur en 1271, choisissant le nom de "yuan" ("l'origine") pour baptiser sa dynastie, laquelle gouverna la Chine pendant un peu moins de quatre-vingt-dix ans. Avant la fin du XIIIe siècle, "l'ordre mongol" régnait sur la Chine du Nord et du Sud, toute l'Asie centrale, la Sibérie méridionale, l'Iran, la Mésopotamie, l'Arménie et les riches plaines de la Volga.

Pour les royaumes occidentaux, cette avancée mongole en Europe et au Moyen-Orient présente l'avantage de fournir un partenaire nouveau dans la guerre sainte contre les Turcs. Certes, la réputation des Mongols est épouvantable et les a précédés dans les palais princiers français, anglais et italiens où l'on parle "d'une nation cruelle et innombrable, une race farouche et sans loi" (lettre d'Henri, comte de Lorraine au duc de Brabant), ou "de monstres qui cherchent et dévorent la chair des chiens et même la chair humaine"... Néanmoins, entre 1240 et 1250, la chronique garde la trace des premières missions de moines dominicains chez les "tartares". Dès 1220, les chefs de la 5e croisade avaient entendu parler de l'invasion de l'Iran par les Mongols et avaient cherché à entrer en contact avec ces mystérieux conquérants. Mais c'est le pape Innocent IV qui, avant même le concile oecuménique qui se tint à Lyon le 28 juin 1245, et dont l'ordre du jour des travaux comportait une session consacrée à "la cruauté des tartares", avait envoyé discrètement des messagers franciscains et dominicains qui, à l'époque, servaient "d'agents" à la papauté dans tout l'Orient.

Au printemps 1245, au moins quatre missions partent "au contact" des envahisseurs mongols. C'est ainsi qu'André de Longjumeau atteint Tabriz, au nord de l'Iran, alors capitale de la Perse mongole. Quant à Jean du Plan Carpin, moine franciscain né à Pérouse, il quitte Lyon le 16 avril 1245, rejoint Kiev, rencontre le petit-fils de Gengis Khan, Batou, au bord de la Volga, qui l'incitat à poursuivre son périple vers l'Est. Il rallie la Mongolie en 1246 où il fit la rencontre du grand khan Guyuk, un autre des petits-fils de Gengis. Sans le savoir, Plan Carpin venait d'ouvrir la route de l'Asie. Il revint, ce qui n'est pas le moindre aspect remarquable de son voyage. De retour à Lyon en 1247, il est nommé archevêque, avec ce mot personnel d'Innocent IV : "L'ambassadeur fidèle est à celui qui l'envoie comme la fraîcheur de la neige au temps de la moisson, il réjouit l'âme de son maître."

À partir de ce moment-là, les ambassades mongoles en Europe et les missions occidentales en Mongolie se succèdent, dans un état d'esprit plutôt positif. Le 20 décembre 1248, saint Louis reçut à Chypre deux envoyés de Guyuk, qui qualifiait le roi de France de "rex magnificus", se gardant néanmoins pour lui-même le nom de "rex terrae"... Le 25 décembre, les deux ambassadeurs mongols entendent la messe aux côtés du roi. Le 27 janvier, ils prennent le chemin du retour, accompagné d'une prestigieuse ambassade française menée par André de Longjumeau, pour gagner le camp de Bayuk, à l'est du lac Balkash. En mars 1250, tout le monde était rentré sain et sauf à Césarée de Palestine. Les routes de la Mongolie s'ouvraient et elles devaient mener, grâce au grand khan Kubilay, vers celles de la Chone.

Repères

1206 : Gengis Kahn devient le chef de toutes les tribus mongoles. En vingt ans, jusqu'à sa mort en 1227, il va conquérir l'Asie centrale, la Chine, la Perse orientale, le Caucase et la Volga.

Printemps 1245 : Les premières missions de moines franciscains et dominicains partent de Lyon pour aller à la rencontre des chefs mongols.

1271 : Kubilay Khan, petit-fils de Gengis Khan, se couronne empereur de Chine, installe sa capitale à Pékin, détrône la dynastie des Song du Sud et ouvre le règne de la dynastie Yuan, qui régnera en Chine jusqu'en 1368.

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