Circulaire Guéant : "the French paradox"

Par Stéphan Bourcieu  |   |  659  mots
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Par Stéphan Bourcieu, enseignant-chercheur en management stratégique et directeur du Groupe ESC Dijon Bourgogne.

Durant la trêve des confiseurs, le ministère de l'Intérieur a annoncé qu'une circulaire spécifique serait prise début 2012 afin de compléter la très controversée circulaire du 31 mai 2011, dite "circulaire Guéant", relative à la maîtrise de l'immigration professionnelle. Le gouvernement reconnaît ainsi le caractère inefficace et antiéconomique de cette disposition qui visait à restreindre l'embauche d'étudiants étrangers diplômés dans des entreprises localisées en France. Conséquence d'une mobilisation très large, allant du patronat aux syndicats, en passant par les universités, les grandes écoles... ce revirement ne met néanmoins pas fin à la politique de durcissement des conditions d'études des étudiants étrangers en France.

En effet, les mesures dissuasives vis-à-vis de ce public s'accumulent. Ainsi, depuis septembre, les étudiants étrangers doivent justifier de ressources mensuelles de 620 euros contre 460 euros auparavant. Mais, surtout, la loi de finances 2012 prévoit que le renouvellement d'un titre de séjour étudiant coûte, depuis le 1er janvier, entre 200 et 385 euros contre 55 à 70 euros auparavant... On voit là l'incroyable paradoxe de l'État français, entre une certaine vision de la France et sa réalité administrative. Ainsi, le gouvernement durcit les conditions d'accueil des étudiants étrangers quand tout devrait au contraire être mis en oeuvre pour faciliter leur venue et répondre aux enjeux majeurs auxquels le pays doit faire face.

En réponse à la désindustrialisation, les pouvoirs publics affirment vouloir faire de l'économie de la connaissance un des moteurs de la croissance. Le grand emprunt concrétise d'ailleurs cette orientation stratégique. Il est donc paradoxal de vouloir créer une économie de la connaissance qui puisse rayonner à l'échelle internationale et ne pas réunir les conditions de sa compétitivité. La capacité à attirer les meilleurs étudiants étrangers est un enjeu majeur pour faire de notre système d'enseignement supérieur une référence au plan international. Cela implique un niveau d'excellence académique mais également la possibilité de donner à ces étudiants des perspectives au-delà du diplôme. Une telle économie de la connaissance doit être créatrice de richesses. Au moment où le déficit du commerce extérieur français atteint des sommets, il apparaîtrait donc logique de mettre en oeuvre les dispositions nécessaires pour attirer des étudiants étrangers sur des programmes de formation payants. Les Britanniques ont intégré depuis longtemps cette dimension dans leur offre d'enseignement supérieur. C'est paradoxalement le chemin opposé qu'emprunte actuellement la France.

Enfin, la venue de ces étudiants étrangers est une condition de la compétitivité des entreprises françaises, dans un contexte où :

- Le chômage des cadres se situe autour de 4%, avec des besoins de compétences non couverts.

- Les entreprises françaises, et plus particulièrement les PME, manquent de compétences internationales et interculturelles pour se développer, notamment dans les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine). En limitant la venue d'étudiants brésiliens, russes, indiens ou chinois en France et les possibilités de réaliser des stages et de travailler sur le territoire, ce sont les entreprises françaises que l'on prive des compétences nécessaires pour se développer dans ces pays à forte croissance.

- Cela signifie enfin que, après avoir formé ces jeunes diplômés, nous préférons les voir rentrer dans leur pays où ils pourront rejoindre des entreprises locales ou internationales en concurrence avec les entreprises françaises. On a pu voir dans la circulaire Guéant une prise de position politique dure contre l'immigration. Plus encore qu'une vision électoraliste ou idéologique de la société française, cette série de décisions discordantes met sans doute en exergue les contradictions de l'État et ses difficultés à coordonner ses actions autour d'objectifs cohérents. Cela n'en est pas moins inquiétant pour le développement d'une économie de la connaissance performante, internationalement.