Le devoir d'équilibre de l'Autorité de la concurrence

Le retrait par l'Autorité de la concurrence du feu vert donné voilà cinq ans à la fusion Canal Plus-TPS soulève de nombreuses questions. Cette décision intervient bien tard. Et pose le problème de l'équilibre entre considérations juridiques et prise en compte des réalités économiques, que l'Autorité semble oublier.
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En matière de politique de la concurrence, l'année 2011 a été marquée par une décision d'une très grande portée : le 21 septembre, l'Autorité de la concurrence a retiré le feu vert qui avait été donné cinq ans plus tôt au rachat de TPS par Canal Plus. En tant que directeur de la concurrence au ministère de l'Économie en 2006, j'avais alors signé cette autorisation de rachat, sous la condition que Canal Plus respecte un ensemble de 59 engagements précis. L'objectif était de permettre aux fournisseurs d'accès Internet de devenir à moyen terme des concurrents crédibles de la chaîne cryptée dans le secteur de la télévision payante. À l'appui de sa décision de retrait, l'Autorité de la concurrence démontre que Canal Plus n'a pas respecté plusieurs de ces engagements.

Que Canal Plus ait pu bafouer ses engagements est une chose, et il n'est pas question de discuter ici la réalité des infractions et les motivations de la décision. En revanche, la sanction choisie par l'Autorité de la concurrence et ses conséquences en sont une autre, qui appelle plusieurs commentaires de ma part.

On s'étonnera d'abord qu'une décision répressive de cette portée intervienne si tardivement, cinq ans après la fusion effective entre les deux entreprises. Si Canal Plus n'a pas respecté plusieurs de ses engagements, il est probable, comme le relève l'Autorité de la concurrence elle-même, que l'infraction a été formée dès les premières années, voire les premiers mois, qui ont suivi le rachat. Pourquoi ne pas avoir adressé plus tôt au groupe Canal Plus une injonction ou une sanction financière dissuasive, comme cela était possible ?

De ce fait, la décision de retrait de l'autorisation a beau être spectaculaire, elle n'intervient pas moins à contretemps, car les manquements éventuellement commis auront déjà produit des effets irrémédiables.

Par ailleurs, en annulant l'autorisation initiale de rachat, l'Autorité de la concurrence a contraint Canal Plus à en demander une nouvelle, et va sans doute prochainement astreindre cette entreprise à une nouvelle série d'engagements pour la placer de facto « sous surveillance » pendant une période supplémentaire de quelques années. C'est à ce niveau qu'une deuxième série de remarques s'impose, tant il est inhabituel de voir l'Autorité de la concurrence se poser en régulateur quasi permanent d'un secteur économique. Cette institution s'écarte ainsi sensiblement de ses missions fondatrices qui consistent, d'une part, à autoriser ou interdire a priori les opérations de concentrations ou de fusions entre entreprises et, d'autre part, à sanctionner a posteriori les abus de position dominante et les ententes.

En réalité, l'Autorité de la concurrence se livre à une critique implicite de la régulation publique du secteur audiovisuel français. Déjà, en juillet 2009, une de ses précédentes décisions avait conclu à la nécessité d'un "signal fort" du législateur pour encadrer le fonctionnement du secteur de la télévision payante. L'Autorité de la concurrence, en choisissant finalement d'envoyer elle-même ce signal, est sortie de son rôle d'arbitre pour se transformer en justicier.

Enfin, cette décision rappelle que la politique de la concurrence, notamment en matière de rachats et de fusions d'entreprises, combine de façon originale le respect de règles juridiques et la prise en compte de dimensions économiques. Ainsi, dans le domaine audiovisuel, disposer d'entreprises françaises puissantes, appelées à contribuer fortement au soutien de la création tout en étant capables de rivaliser avec les grands groupes internationaux, doit rester un impératif de politique industrielle. Cet impératif ne justifie évidemment pas que ces entreprises se développent en marge des règles de la concurrence, mais il exige également qu'on ne les réduise pas à ces seules règles.

Institution encore jeune, jouissant d'une totale indépendance, dotée de pouvoirs importants, l'Autorité de la concurrence a en définitive un devoir d'équilibre : elle doit veiller à ce que ses décisions ne négligent pas les arguments économiques et industriels qui sont, aussi, une dimension essentielle de cette discipline si singulière qu'est le droit de la concurrence.

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