Grèce : la bombe à retardement

François Leclerc est contributeur au blog de Paul Jorion.
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La tournée européenne de Christine Lagarde n'est pas sans rapport avec une véritable bombe à retardement, le temps passant et les négociations à propos de la décote de la dette grecque n'aboutissant toujours pas. La Grèce doit rembourser 14,5 milliards d'euros d'obligations le 20 mars prochain, mais elle ne sera pas en mesure de le faire si l'accord d'échange avec décote de la dette grecque n'est pas bouclé dans un mois au plus tard.

L'Union européenne et le FMI ont en effet mis comme condition préalable à la mise en oeuvre de leur nouveau "plan de sauvetage" que cet accord - qui en est le pilier - soit auparavant conclu entre les investisseurs, que l'Institute of International Finance (IIF) représente, et le gouvernement grec.

En dépit des déclarations apaisantes qui se multiplient, de nombreux obstacles subsistent. L'écart entre le montant initialement envisagé de décote de la dette de 50% et la demande du gouvernement grec de la porter à 75% n'a été que partiellement résorbé, les grandes banques ayant, semble-t-il, accepté d'accroître leur effort pour la porter à 60%. Mais le FMI est venu apporter un soutien inattendu aux autorités grecques, considérant que ce n'était pas suffisant pour que le "plan de sauvetage" puisse remplir sa fonction, étant donné la détérioration de la situation économique du pays, estimant qu'il fallait atteindre la fourchette 65-70%.

D'autres aspects de l'échange de titres qui devrait résulter de l'accord font encore l'objet de tractations, portant sur la maturité et le taux des nouvelles obligations, les garanties apportées, ainsi que sur leur attribution de juridiction (britannique ou grecque). Mais l'essentiel n'est pas là.

 

L'objectif était de convaincre les détenteurs de 90% de la dette grecque - qui représente un montant global de 206 milliards d'euros - d'appliquer volontairement l'accord négocié en leur nom par l'IIF. Mais le risque est de devoir se contenter de 60%, en raison des difficultés rencontrées. Un tel pourcentage diminuerait le montant effectif de la décote et pourrait amener la troïka (Union européenne, FMI et BCE) à considérer que le compte n'y est pas et que le "plan de sauvetage" ne peut pas être bouclé dans ces conditions. Au mieux, son efficacité sera diminuée.

Les hedge funds sont montrés du doigt comme étant les responsables de cette situation, insensibles aux pressions exercées sur les banques par les autorités politiques et les banques centrales. Ils ont ces derniers mois considérablement renforcé leurs positions en rachetant de la dette grecque aux banques, trop contentes de s'en délester, et s'arrachent actuellement les titres arrivant à maturité le 20 mars prochain, à des prix bradés en raison des taux très élevés qui prévalent sur le marché secondaire. A l'arrivée, les hedge funds ont acquis le pouvoir de faire capoter l'ensemble du "plan de sauvetage" de la Grèce... Selon JP Morgan Chase, ceux-ci détiendraient avec des fonds souverains la valeur de 80 milliards d'euros de titres de la dette grecque.

Leur calcul est simple : ils attendent soit que la Grèce n'honore pas son échéance, avec pour conséquence l'activation des CDS et le remboursement de leurs pertes par les émetteurs de ceux-ci ; soit d'être remboursés par le gouvernement grec à la valeur nominale, si suffisamment d'autres investisseurs acceptent la décote qu'eux refusent, le "plan de sauvetage" fonctionnant alors. Dans les deux cas, un bénéfice substantiel est à la clé. Le risque qu'ils prennent est relativement mineur, car il faudrait pour qu'ils se pincent les doigts dans la porte que la loi grecque soit changée en urgence, vu qu'elle ne prévoit pas de clauses d'action collective (CAC) obligeant tous les investisseurs à appliquer les décisions prises par une majorité qualifiée d'entre eux.

 

Une telle initiative pourrait d'ailleurs rendre intenable la position de l'Isda qui a fondé sa décision de ne pas activer les CDS sur le caractère volontaire du processus. Elle poserait aussi tout cru le problème de la BCE, gros détenteur de la dette grecque, et de sa participation à l'accord de décote qu'elle a pour l'instant refusé d'envisager... Ou bien de certains fonds souverains, auxquels il est par ailleurs fait les yeux doux pour financer le FESF, le Fonds européen de stabilité financière.

Resterait, pour être complet, à identifier tout ce beau monde, banques et hedge funds, investisseurs et émetteurs de CDS. Mais ces informations ne sont pas disponibles. Il n'est pas davantage possible de savoir avec quels fonds, prêtés par quelles banques, les hedge funds en question ont, le cas échéant, réalisé leurs acquisitions. La finance, ce n'est pas compliqué mais simplement opaque.

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Commentaires 7
à écrit le 05/02/2012 à 17:47
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En refusant une aide dès le début de la crise au nom de la morale et du refus de l'aléa moral, l'Allemagne a mis toute l'Europe sous la coupe de fonds "vautour". Bravo Mme Merkel.

à écrit le 05/02/2012 à 11:15
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La réponse à ce piège tombe ce dimanche 5 février : Les pays du pétrole, sous la pression du FMI, vont mettre la main à la poche... à la place de la BCE, qui N'A PAS LES MOYENS de le faire. Ni statutairement ni pratiquement. La zone euro n'est qu'un ...

à écrit le 17/01/2012 à 6:52
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L'implosion du système monétaire américain et européen est l'objectif de tout ça... La BCE, le FMI, les banques, les "investisseurs privés" : c'est les mêmes personnes qui sont derrière. Peu importe quel sera le premier pays qui fera défaut, mais il ...

à écrit le 14/01/2012 à 12:36
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Existe-il un scenario pour que Grèce rembourses ses prêts. En dehors du défaut de paiement (direct ou déguisé par le « volontarisme bancaire » sous la pression des états) je ne le vois pas. Il est temps d?être honnête et de dire la vérité. Les Hedges...

à écrit le 14/01/2012 à 7:10
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Il est urgent que la Grèce se mette en défaut de paiement quitte à créer des tensions au sein de l'UEM. la Grèce n'a pas de modèle économique suffisant pour accepter un euromark fort.

à écrit le 14/01/2012 à 5:54
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En résumé, un bordel monstre où chacun cherche à tirer son épingle du jeu, avec à l'horizon l'activation des CDS, cataclysme dont personne n'est capable de prédire l'ampleur ou les conséquences mais sur lesquels certains parient ouvertement !

à écrit le 13/01/2012 à 22:26
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La perte du triple A n'est rien a coté de ce qui se profile.L'euro aura du mal a tenir jusqu'au élections,sous perfusion ,peut-être...

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