Pour défendre le quotient familial

Par Henri Sterdyniak  |   |  1010  mots
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Par Henri Sterdyniak, directeur du département Economie de la mondialisation à l'Observatoire français des conjonctures économiques.

Chaque famille doit être imposée selon son niveau de vie. Remettre en cause ce principe serait inconstitutionnel, contraire à la Déclaration des droits de l'homme, qui énonce que "chacun doit contribuer aux dépenses publiques selon ses capacités contributives". La loi garantit le droit des couples à se marier, à fonder une famille, à mettre en commun leurs ressources. L'impôt doit être familial et doit évaluer la capacité contributive de familles de composition différente. Voilà pourquoi l'idée émise par le PS d'une remise en cause du quotient familial n'est pas acceptable. Aussi, est-il permis de faire confiance au Conseil constitutionnel pour interdire toute remise en cause du quotient.

La seule critique du système du quotient familial, socialement et intellectuellement recevable, doit porter sur ses modalités et non sur son principe. Les parts fiscales permettent-elles d'appréhender le niveau de vie ? Le montant du plafonnement du quotient est-il approprié ? Si le législateur s'estime incapable de comparer le niveau de vie de familles de tailles différentes, il doit renoncer à la progressivité de l'impôt.

Certains dirigeants du PS ont repris la thèse selon laquelle le quotient familial est injuste car il ne profiterait pas aux familles les plus pauvres qui ne paient pas d'impôt, et profiterait plus aux familles riches qu'aux familles pauvres. Cela dénote une forte incompréhension du fonctionnement du système socialo-fiscal.

La politique familiale comporte un grand nombre d'instruments. Les prestations sous conditions de ressources (RSA, complément familial, allocation logement, ARS) doivent assurer un niveau de vie satisfaisant aux familles les plus pauvres. Les prestations universelles doivent compenser, en partie, le coût de l'enfant pour les autres. La fiscalité ne peut pas aider les familles pauvres, au-delà du fait de ne pas les imposer. Elle doit être équitable pour les autres. Il est absurde de reprocher au quotient familial de ne pas bénéficier aux familles les plus pauvres : celles-ci bénéficient à plein des prestations sous conditions de ressources. Avec le système actuel, pour de bas niveaux de revenus, les familles avec enfants ont à peu près le même niveau de vie que les couples sans enfants. Par contre, au-delà de 2 Smic, les familles avec enfants ont toujours un niveau de vie nettement plus bas que les couples. Ce sont les classes moyennes qui connaissent la perte de pouvoir d'achat relative la plus forte en élevant des enfants. Faut-il une réforme qui diminuerait encore leur situation relative ? Le niveau de vie de la famille est d'autant plus bas qu'elle comporte beaucoup d'enfants. Avoir des enfants n'est donc jamais une niche fiscale, même à de hauts niveaux de revenus. Si donc une réforme est nécessaire, c'est d'augmenter le niveau des allocations familiales pour tous, pas de modifier le quotient.

Considérons une famille avec deux enfants où l'homme est au Smic, la femme ne travaille pas. Cette famille bénéficie, par mois, de 174 euros de prestations familiales, de 309 euros de RSA et de 361 euros d'allocation logement. Son revenu disponible est de 1.916 euros pour un revenu avant redistribution de 1.107 euros ; même compte tenu de la TVA, son taux d'imposition net est négatif de ? 44%. Sans enfant, elle n'aurait que 83 euros de PPE, 172 euros d'allocation logement. Les parents ne supportent aucune perte de pouvoir d'achat du fait de la présence d'enfants, entièrement pris en charge par la politique familiale.

Voyons maintenant la famille aisée avec deux enfants où l'homme gagne 6 fois le Smic, la femme 4 fois. Son revenu disponible est de 7.396 euros pour un revenu avant impôt de 10.851 euros ; compte tenu de la TVA, son taux d'imposition est positif de 44%. Sans enfants, elle paierait 389 euros d'impôt de plus par mois. Les parents supportent une perte de niveau de vie de 24,4% du fait de la présence des enfants.

N'oublions pas que le système du quotient familial joue aussi pour déterminer les droits à prestations. Comment seraient déterminés les droits à l'allocation logement, aux prestations sous conditions de ressources, aux bourses scolaires, si on se refuse à évaluer le niveau de vie de la famille par la somme des revenus des parents divisée par le nombre de parts de la famille ? Les dirigeants socialistes préconisent-ils un système saugrenu où le quotient familial serait utilisé pour les prestations et nié pour les impôts ?

Peut-on remplacer le quotient familial par une prestation uniforme de 607 euros par enfant, comme le proposent certains dirigeants socialistes, s'inspirant d'un travail de la Direction du Trésor ? Ce niveau n'a aucune justification autre que comptable : le coût actuel global du quotient familial réparti uniformément par enfant. Un crédit d'impôt, sans garantie d'indexation, verrait vite son pouvoir d'achat relatif diminuer, comme diminue celui des allocations familiales. La prise en compte des enfants par la fiscalité perdrait toute logique. Les familles avec enfants seraient surtaxées par rapport aux couples sans enfants.

Certes, il serait souhaitable d'augmenter le niveau de vie des familles les plus pauvres. Mais cet effort doit être financé par tous les contribuables et pas spécifiquement par les familles. Aucun parti politique ne propose des mesures fortes pour les familles. Pire, en 2011, le gouvernement, qui se pose aujourd'hui en défenseur de la politique familiale, a décidé que les prestations familiales ne seraient pas indexées sur l'inflation et perdraient 1% de pouvoir d'achat, alors que le pouvoir d'achat des retraités était maintenu. Les enfants ne votent pas...

Il m'est difficile de penser que les familles nombreuses, et en particulier celles de la classe moyenne, où les parents (et surtout les mères) jonglent avec leurs horaires pour s'occuper de leurs enfants tout en travaillant, soient les grandes profiteuses du système. Les citoyens attendent une réforme fiscale qui s'attaque aux inégalités croissantes dues à l'explosion du capitalisme financier, aux revenus exorbitants des dirigeants des grandes entreprises, des financiers, des spéculateurs, des détenteurs de patrimoines importants. Faut-il leur proposer une réforme qui augmente l'imposition des familles ?