Téléphonie mobile : le temps de la riposte

Par Emmanuel Combe, professeur à l'université de Paris I et professeur affilié à ESCP Europe.
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L'entrée de Free sur le marché de la téléphonie mobile constitue un cas d'école pour qui veut comprendre le fonctionnement des marchés en situation d'oligopole, où les comportements des acteurs sont interdépendants : comment les trois autres opérateurs vont-ils riposter et avec quelles armes ?

Le parallèle avec le secteur aérien, qui a vu monter en puissance les opérateurs low-cost durant les années 2000, est instructif : les nouveaux concurrents sont arrivés eux aussi avec une offre tarifaire de rupture, très agressive. Certains d'entre eux sont d'ailleurs venus contester le leader historique sur son propre réseau court et moyen-courrier, à l'image ­d'Easyjet sur Paris-Nice.

Dans l'aérien, les leaders ont souvent réagi en lançant leur propre offre low-cost, pour se battre avec les mêmes armes que le nouvel entrant. Le résultat n'a pas été probant : la riposte a été trop tardive et les compagnies historiques n'ont pas réussi à dupliquer la structure de coûts des "low cost". La bonne stratégie aurait consisté à "couper l'herbe sous le pied" des nouveaux entrants, en rachetant par exemple une compagnie low-cost, plutôt que d'en créer une à partir de l'existant.

A la différence de l'aérien, il est probable que la stratégie de dédoublement soit couronnée de succès dans la téléphonie mobile. Tout d'abord, les opérateurs ont lancé leur offre "low cost" avant l'entrée de Free, notamment avec les marques Sosh et B&You ; de plus, ils peuvent dupliquer un business modèle assez similaire à celui de Free, avec une offre 100% "online", afin de minimiser les coûts de structure. Free va donc se retrouver rapidement en concurrence frontale avec les filiales "low cost" des trois opérateurs installés : la bataille des prix ne s'est d'ailleurs pas fait attendre, avec l'annonce d'une baisse du forfait "illimité" de Sosh et B&You à 24,90 euros, trois jours après l'entrée de Free.

Mais les trois opérateurs installés ne sont pas au bout de leurs peines. Ils font le pari que le marché du mobile restera segmenté entre une offre "low-cost", qui ne touchera qu'une petite fraction de la population, sensible à l'argument des prix bas et confiante dans le modèle online, et une offre "principale", demandeuse de services avant et après l'achat du forfait, notamment au travers d'un réseau dense de points de vente.

Au vu de ce qui s'est passé dans l'aérien, il est permis de douter de la pérennité d'un tel dualisme : les leaders du transport aérien pensaient, eux aussi, que le low-cost serait un marché de niche alors qu'il s'est révélé être une lame de fond, témoignant d'un changement profond du comportement d'une majorité de clients.

Sur le segment du court et moyen-courrier ? la situation est très différente sur le long-courrier ?, le transport aérien est tombé progressivement dans le champ des "commodités". Cela signifie qu'au-delà d'une qualité minimale et non négociable (à savoir la sécurité et la ponctualité des vols) le prix est devenu, aux yeux des consommateurs, le critère principal de choix. Tout le reste relève de l'accessoire et est transformé en options ­payantes.

Imaginons qu'une majorité d'abonnés de la téléphonie mobile estiment à leur tour qu'au-delà de la qualité intrinsèque du matériel ? qui ne dépend pas des opérateurs mais des constructeurs ? de la qualité physique du réseau (couverture, débit, etc.), de la réactivité du SAV (qui peut tout à fait être assurée via une hotline performante et quelques points de contact), tout le reste relève du "superflu" : la viabilité d'un modèle fondé sur une offre diversifiée et un maillage étroit du territoire serait alors remise en cause, et la stratégie de "sanctuarisation" de l'offre principale volerait en éclats. Les consommateurs, qui raisonnent de plus en plus en termes de ratio qualité/prix, seront-ils prêts à payer demain plus cher pour avoir plus qu'une offre standard ? Les opérateurs ne devront-ils pas réinventer leur modèle ­commercial pour mieux justifier sa valeur ajoutée aux yeux des consommateurs, par exemple en faisant évoluer leurs points de vente en véritables lieux d'expérience ?

Ces questions redoutables pourraient bien se poser un jour aux opérateurs de téléphonie, comme cela a été le cas dans les secteurs de l'aérien et de la distribution alimentaire, confrontés à l'arrivée de nouveaux acteurs ayant un fort positionnement sur le prix. Une chose est sûre : l'opérateur qui saura le mieux être à l'écoute des attentes profondes de ses clients aura un coup d'avance sur ses concurrents, et retrouvera un peu de liberté dans l'inéluctable guerre des prix qui se profile à l'horizon.

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Commentaires 2
à écrit le 17/01/2012 à 15:34
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Bonjour, Je ne comprends pas que la même question ne se pose pas avec les banque de détail. Salutations

à écrit le 17/01/2012 à 13:05
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Très intéressant. Il est vrai qu?avec un pouvoir d'achat de plus en plus serré, les consommateurs seront sans doute moins enclins une "qualité" de service qui n'existe souvent que dans le discours des grands opérateurs.

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