Ce qui distingue vraiment la France et l'Allemagne

Par Bruno Lasserre  |   |  663  mots
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Par Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence.

La diffusion, depuis vingt-cinq ans, d'une véritable "culture de la concurrence" commence à porter ses fruits en France, même si, dans d'autres pays, comme l'Allemagne, la "culture du monopole" s'est ancrée dès l'après-guerre. L'homologue de l'Autorité de la concurrence, le Bundeskartellamt, a joui en effet, dès sa création, d'un magistère moral considérable compte tenu de l'impératif politique qu'a constitué la lutte contre les "Konzern" pour clore définitivement les périodes sombres des années 1930 et de la guerre.

Ainsi, s'il est encore trop tôt pour considérer que la "culture du monopole" fait partie, en France, du passé, on peut en revanche constater que la récente crise financière et économique a confirmé qu'une économie de marché fondée sur les mérites et correctement régulée était le plus court chemin vers la croissance.

Une vision manichéenne des structures de marché conduirait à opposer la concurrence pure et parfaite, qui serait un objectif idéal, et le monopole, qui aurait vocation à être démantelé et combattu. Cela ne correspond ni à la réalité, ni, surtout, à la vision de l'Autorité de la concurrence : la concurrence n'est ni une idéologie, ni une fin en soi, et le monopole n'est pas, en soi, illicite ; il ne l'est que s'il conduit à des abus de position dominante.

Pour autant, l'histoire économique a montré que les monopoles qui ne subissent pas les contraintes d'une concurrence potentielle tendent à pratiquer des prix plus élevés, au détriment des consommateurs, ou à ne pas satisfaire entièrement la demande, et peuvent, le plus souvent, ralentir l'innovation. Il n'est pas non plus acquis que des monopoles publics soient les seuls moyens de satisfaire les missions d'intérêt général et de service public qui ont justifié historiquement leur création.

C'est la raison pour laquelle, après avoir favorisé la concurrence dans certaines périodes de l'Histoire, et, à d'autres moments, opté pour une économie administrée, les pouvoirs publics français ont définitivement tranché, en 1986, en faveur d'une économie de marché, suffisamment sûre d'elle-même pour que sa régulation soit confiée à une autorité administrative indépendante.

La loi de modernisation de l'économie a transformé le Conseil de la concurrence en Autorité disposant de tous les outils de régulation concurrentielle : l'initiative des enquêtes contentieuses, des recommandations de politique publique et d'enquêtes sectorielles, ainsi que le contrôle des concentrations.

L'Autorité a accompagné l'ouverture à la concurrence progressive de nombreux secteurs, à commencer par les télécommunications dans les années 1980, le transport aérien et urbain, l'énergie dans les années 1990, et plus récemment, le transport ferroviaire. Si l'effet de la concurrence sur les prix dépend de nombreux paramètres, en particulier les conditions de production et le taux d'innovation du secteur concerné, dans tous ces domaines, le bien-être du consommateur a été accru en termes de diversité et de qualité de service. Les anciens "champions nationaux" n'ont pas vu leur croissance entravée ; au contraire, le chiffre d'affaires global des secteurs concernés a augmenté.

Si les autorités de concurrence conservent des missions essentielles à l'égard des monopoles publics, leur rôle s'élargit à des défis qui dépassent le cadre national. Récemment de "nouveaux monopoles" ou "écosystèmes captifs" de taille mondiale sont apparus. Contrairement aux monopoles historiques, ils résultent non pas d'une protection ou d'un investissement de l'Etat mais d'un effort d'innovation et de création d'un écosystème qui capture le consommateur, qui ne cherche (ou ne peut) le quitter pour un écosystème concurrent. Il suffit parfois, dans ces secteurs, de s'appuyer sur un concept commercial nouveau ou une technologie pour remporter rapidement une part significative voire la totalité d'un marché. Les autorités de la concurrence se penchent actuellement sur l'analyse complexe de ces nouveaux monopoles, particulièrement présents dans le secteur des nouvelles technologies.