Télétravail : il n'y a plus de temps à perdre !

Par Nicolas Sauvage  |   |  844  mots
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Par Nicolas Sauvage, avocat associé chez Reed Smith.

Le télétravail en entreprise est revenu sur le devant de la scène : un projet de loi devrait être très prochainement voté par le Sénat. Sont également attendus les résultats de l'étude commandée par Eric Besson, menée par le cabinet Greenworking. L'enjeu est de taille : il s'agit de mettre la France en ordre de marche pour récupérer le retard pris en matière de télétravail.

Le débat ne date pas d'hier. Un accord-cadre européen a été transposé en 2005. Quelques accords de télétravail ont été signés depuis. Chez Renault et Michelin, ou encore Atos, Oracle, Accenture, Capgemini, Crédit Agricole, Norauto, Microsoft, L'Oréal. Il faut maintenant accélérer les mesures concrètes. Et les étendre aux PME, qui le souhaitent et le peuvent.

L'Etat, de son côté, n'est pas en reste. Il y a tout juste un an, les syndicats ont signé un accord-cadre ouvrant la voie notamment pour le personnel du Minefi. L'Inpi - un établissement public - a également osé franchir le pas. Pourquoi ne pas multiplier ces cas, quand on sait par exemple que les métiers du conseil - secteur d'activité auquel le télétravail s'adapte idéalement - représentent 1,7 million de salariés ? En attendant, quelques freins restent à lever.

- Un frein culturel avant tout. Le modèle français est encore essentiellement basé sur le temps de travail, et non sur le résultat. Nos cousins anglo-saxons ont une culture plus orientée sur les objectifs. La France connaît un taux de télétravailleurs de 45% inférieur à la moyenne européenne. Et trois fois inférieur aux pays scandinaves.

- Un frein managérial, car le télétravail s'apparente pour certains à une perte de contrôle des troupes. C'est un peu la fin du modèle pyramidal de management, au profit d'un mode collaboratif. Moins de contrôle des supérieurs, plus de responsabilisation des salariés. On peut y voir un parallèle avec l'inondation des entreprises par les médias sociaux.

- Un frein syndical, car sans heures de sortie des bureaux, les personnels en télétravail sont moins faciles à "tracter". Les syndicats craignent de perdre leur influence sur des salariés. Selon Greenworking, cette résistance s'amoindrit lorsque l'entreprise met à disposition des espaces virtuels syndicaux et autorise la diffusion de tracts par e-mail ou sur Intranet.

- Un frein juridique enfin, en raison tout d'abord du contrôle du temps de travail : la crainte compréhensible du DRH que le salarié allume son ordinateur le matin et parte à la piscine (vu du serveur de l'entreprise, il a l'air pourtant de réfléchir longuement sur ce qui apparaît sur son écran) ou la hantise du salarié qui ne compte plus ses heures, travaille sans compter, viole l'obligation de repos de 11 heures consécutives (vu de l'oeil du DRH, il met sa santé en risque et l'entreprise aussi).

Or, appliqué depuis cinq décennies aux industries de services, le temps de travail est une mesure tayloriste ou fordienne, aujourd'hui dépassée. Pour tout ce qui requiert un travail majoritairement intellectuel, il faut réfléchir à une nouvelle définition de la valeur travail, déconnectée du temps de travail et qui permettrait de généraliser le télétravail !

Il va falloir oser casser les codes. Passer de la notion de présence à celle de service rendu. Parce que le télétravail offre de nombreux avantages. Pour les salariés d'abord, il assouplit le rapport vie professionnelle/vie personnelle. Pour les entreprises ensuite, il permet d'avoir des employés plus efficaces et économise des coûts de locaux. Se développant de plus en plus, les tiers lieux de travail (coworking ou télécentres) sont près de 80 sur le territoire, et donnent l'occasion à de nouvelles économies. D'après l'étude à paraître du cabinet Greenworking, le télétravail accroît la productivité de 5% à 30% selon les individus.

Autres bénéfices : il contribue à encourager le repeuplement des zones rurales, alléger le trafic routier, limiter les déplacements... Mais pour impulser enfin un réel élan, restent quelques précautions à prendre : encadrer le télétravail et fournir des garanties aux salariés. La situation contractuelle doit être adaptée. De futurs aménagements au Code du travail le prévoient. Cela passe par un entretien-bilan sur les conditions et la charge de travail, une définition des plages horaires, la prise en charge des coûts découlant de l'exercice du télétravail (matériels, logiciels, abonnements...).

La clé de voûte du cadre juridique devra être celle de l'évaluation du travail. Le télétravail implique l'impossibilité matérielle de contrôler le respect des règles par le télésalarié. Pour favoriser l'émergence du télétravail en France, un impératif s'annonce aujourd'hui : faire avancer la réflexion pour changer de paradigme sur la valeur travail.