Comment Orange, SFR et Bouygues doivent riposter à Free

Par Pierre-Eric Perrin  |   |  815  mots
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Par Pierre-Eric Perrin, associé-fondateur de Mawenzi Partners, cabinet de conseil en stratégie et organisation.

Le 10 janvier, Free a donc lancé son offre mobile illimitée à 19,99 euros. Dans les scénarios les plus fous prévus par tous les opérateurs, ce passage au "tout illimité à moins de 20 euros" n'était quasiment pas envisagé... Trop destructeur de valeur pour tous et trop risqué pour Free. Et pourtant, avec les derniers mouvements initiés par les opérateurs, Free n'avait pas d'autre choix !

En effet, avec une offre qui suscite un tel buzz médiatique, Free maintient son modèle de coût d'acquisition hors norme : l'offre se suffit à elle-même, et GfK le confirme avec 97% des sondés qui en ont entendu parler. Par ailleurs, Free peut recruter maintenant des abonnés équipés de téléphones mobiles encore performants, grâce aux subventions des opérateurs. Avec des appareils renouvelés en moyenne entre vingt-cinq et trente mois, et une loi Chatel qui permet un désengagement en 15 mois de forfait acquitté, les nouveaux abonnés Free ont en gros un an pour profiter du meilleur des deux mondes... Autre raison de frapper très fort tout de suite, Free a tout intérêt à "acheter" d'un coup un portefeuille de clients conséquent pour engranger des revenus. D'autant plus qu'avec la cible très large de cette offre à 19,99 euros, Free devrait aussi conquérir de faibles consommateurs - et donc plus rentables - que ceux qui auraient de toute façon souscrit à Free avec la même offre à 30 euros ou 40 euros.

La dernière raison pour justifier cette offre ultra-agressive, mais non la moindre, concerne la politique marketing des opérateurs historiques, qui fait finalement le jeu du nouvel entrant. En effet, à grand renfort de publicité, Bouygues Telecom, Orange, puis SFR ont lancé des marques soi-disant low-cost, qui se voulaient être des remparts contre l'arrivée de Free. Malheureusement pour ces trois opérateurs, leur "low cost" fait désormais pâle figure vis-à-vis de Free. De plus, les trois opérateurs, puisqu'ils ont déjà grillé leurs cartouches, n'ont plus d'autre choix désormais que de s'enfermer dans cette logique en réduisant drastiquement, et sans aucune contrepartie, le prix de ces offres low-cost. Et enfin le trio se retrouve pris à son piège en devant gérer deux marques largement dépositionnées par rapport à Free.

Si les offres "low cost" s'alignent sur l'illimité de Free à 20 euros, ce sont donc Sosh, Red et B&You qui risquent d'accueillir la majeure part des clients restés - sans le savoir ? - chez les opérateurs historiques. Et encore, à supposer que ceux qui ont fait l'effort de résilier leur abonnement feront aussi l'effort de choisir l'ersatz plutôt que l'original... La marque mère d'origine qui véhicule, quoi qu'on en dise, l'image de qualité de service, de proximité client, de "terminal pas cher", voire d'innovation, concentrera alors dans son portefeuille clients les "pigeons" n'ayant pas migré, avec un risque de rejet par ses propres abonnés.

Mais messieurs les opérateurs, il n'est pas encore trop tard ! Tirez un trait sur le recrutement de clients en janvier 2012, acceptez de perdre les clients que vous ne pourrez jamais retenir, et défendez ce qui est encore défendable en restant focalisés sur les besoins clients que vous savez le mieux satisfaire. D'abord quelques offres segmentées sur des besoins simples avec un centre de gravité autour de 20 euros : forfait 2 heures - la majorité des usages - forfait bloqué, prépayé, illimité, international... Ensuite de la proximité client par les boutiques et un service client de qualité, qui a permis à Neuf, grâce à son rachat par SFR, de rebondir sur le marché de la "box". Enfin un téléphone mobile avec un prix attractif grâce aux conditions d'achat en grands volumes et à l'engagement, et avec un SAV fort.

Ce plan de riposte doit intégrer la marque low-cost bien sûr, mais il doit surtout être porté par la marque mère, sous peine de voir les trois opérateurs historiques se battre contre Free sans leurs propres armes, avec des marques qui prennent le moins bon des deux mondes. Seule la marque mère peut fidéliser les clients et rallier à elle d'ici quelques mois les repentis qui rechercheront un nouveau mobile, de la proximité et une offre spécifique. Pour rester compétitifs, les opérateurs schizophrènes doivent donc d'abord réduire fortement les tarifs de leur marque mère, prioritairement pour leurs clients existants, puis repositionner leur marque "low cost", voire l'abandonner.

Reste la question de l'innovation mobile que Free semble avoir délaissée pour faire du mobile un produit d'appel de la box, terrain qu'il maîtrise mieux. La question est donc de savoir si les clients seront prêts à payer plus cher pour des services mobiles innovants, et si les opérateurs sauront les proposer.