Perte du AAA : une triple crise pour les collectivités locales

Par Jean-Marc Pasquet, conseiller régional d'Île-de-France (EELV), vice-président de la commission des Finances
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On voyait la catastrophe venir. Maintenant, c'est officiel : avec la perte programmée du triple A de la France, les collectivités devraient voir par contrecoup leurs conditions d'emprunt se dégrader. D'autant que cette situation se conjugue à une triple crise qui impacte les budgets locaux.

Première crise, de confiance, liée au non-respect de la parole donnée de l'État dans l'application de son pacte passé avec les territoires. Pour quelles raisons ? Parce que la dette nationale atteint aujourd'hui 85 % du PIB. Responsable essentiel de cette tendance : l'État, par ses décisions d'allégements fiscaux prises, dès la fin des années 1990, le mouvement s'est accéléré sous les gouvernements Fillon.

Ce faisant, Bercy fait payer le prix fort de ces turpitudes aux territoires en revenant systématiquement sur le pacte financier qui le lie au monde local. Comment ? En comprimant le volant local de ses dépenses, soit 20 % de son budget composé de dotations et autres subventions aux collectivités. Un peu plus chaque année, les termes du Pacte de stabilité qui régule les relations de l'État central avec le secteur local sont revus systématiquement en défaveur des territoires. Il s'agit d'un contrat de dupes en réalité et ce, depuis qu'il a été créé au milieu des années 1990 pour donner un cadre stable aux budgets locaux. Aucun gouvernement n'a souhaité y insuffler la nécessaire pérennité attachée à une bonne gouvernance.

Contraint de limiter la casse de ses propres déficits, le pouvoir central s'est donc retourné vers un coupable idéal, dénoncé à coups de communication présidentielle, en fermant le robinet des "concours" étatiques nécessaires à leur fonctionnement. Il exerce par ce biais un certain nombre de contraintes sur les budgets locaux. Qu'elles soient directes sous l'effet de l'application de la norme "0 valeur" appliquée y compris à ces transferts vers les collectivités, ou indirectes par le biais des réformes territoriales et leur volet fiscal.

Cette année, l'effort de "redressement des comptes publics" a ainsi été décliné pour les territoires dans les deux derniers plans de rigueur : celui d'août, par la participation des collectivités à hauteur de 20 % du milliard d'euros de dépenses publiques gelé par l'État ; celui de novembre par la hausse du taux dit réduit de la TVA de 5,5 % à 7 % sur certains des services des collectivités.

Seconde crise qui affecte le monde local, celle du système financier et de ses déclinaisons locales, avec la fin de Dexia. Promis au découpage entre la Caisse des dépôts et La Banque Postale, Dexia est l'histoire d'un modèle économique intenable, vanté plus d'une décennie, mis sous la perfusion de la vente des "prêts toxiques" à fortes marges et qui termine au désastre. Aujourd'hui, l'ex-premier banquier des collectivités laisse les élus en plan. L'inquiétude sur la disparition de ce major des financements locaux ajoutée à la nouvelle réglementation dite Bâle III devraient rendre plus difficiles encore les conditions d'accès aux financements destinés aux territoires. Cela alimente le projet de création d'une banque publique portée par les principales associations d'élus mais il prendra du temps.

Ironie de l'histoire, il aura fallu un petit quart de siècle pour remettre au goût du jour l'idée d'une Caisse des collectivités, éteinte en 1982, à la naissance du Crédit Local de France, l'ancêtre de Dexia. Quels sont les comportements adoptés par les collectivités dans cet environnement hostile ? Contre vents et marées et à rebours d'une réputation dispendieuse, elles ont continué à privilégier l'investissement. Cela a été encore le cas en 2010, avec une croissance de près de 3 % pour atteindre 51,9 milliards soit les trois quarts de l'investissement public et 40 % de l'activité du bâtiment.

Limitées dans leur autonomie, plus faiblement aidées entre elles que leurs cousines allemandes, heurtées par des transferts de compétences mal compensés et une relation avec l'État sans cesse bouleversée, les collectivités ont en outre été les victimes collatérales d'une finance débridée. Elles ne disposent plus guère que du levier de la dette pour assumer leurs interventions. Mais pour combien de temps ?

La troisième crise à venir pourrait bien dépasser la sphère locale. Car en remettant en cause la dimension territoriale de notre République consacrée par la révision constitutionnelle de 2003, l'année 2012 sera peut-être celle d'une crise démocratique majeure. Conséquence du caractère impécunieux de l'État mais bien au-delà, d'une marche à rebours de près de trente années de décentralisation.

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Commentaires 4
à écrit le 27/01/2012 à 7:14
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Belle parole d'homme politique, mais je reste persuadé que le principe de base qui est de caler les dépenses sur les recettes n'existe pas chez les politiques. La frénésie d'emprunt par l'état ou les collectivités locales pour les dépenses de fonctio...

à écrit le 26/01/2012 à 12:57
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Cet élu vert oublie la responsabilité des Traités européens dans la folle course à la dérégulation, à la désétatisation, à la privatisation des services publics. Or son parti les a tous approuvés ! Un peu plus de sérieux SVP, et un peu moins d'hypoc...

à écrit le 26/01/2012 à 9:44
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Il fallait éviter de creer 300 000 postes de fonctionnaires?

à écrit le 26/01/2012 à 9:44
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Très bien,mais ou sont passes les impôts locaux dans cette histoire? Les élus sont en train de les voter, et on n'en parle pas. Bien sur, il n'y a pas de problème puisque les avis d'imposition ne commenceront pas a arriver avant fin aout 2012, après ...

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