Délocalisations : un retour d'expérience

Par Alexander Valkenberg  |   |  682  mots
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Par Alexander Valkenberg, directeur général de Swiss Post Solutions France et Europe de l'Ouest

Au sujet de la "délocalisation", circulent un certain nombre de lieux communs que je propose d'examiner au vu de l'expérience professionnelle de terrain que j'ai pu vivre durant les dernières années en tant que directeur général France et Europe de l'Ouest de Swiss Post Solutions, la division de la Poste suisse qui est, entre autres, très active dans l'externalisation de processus métiers notamment via des délocalisations à travers le monde.

Première idée reçue, les délocalisations ne concernent que la production industrielle ou les métiers informatiques purs : faux. La délocalisation des services a été rendue possible à partir de la fin des années 1990 par la disponibilité d'importantes infrastructures de communication, conséquence du développement des télécommunications et d'Internet. Presque toutes les étapes d'un processus métier spécifique (souscription, paiement, prise de commande, réclamation, remboursement, etc.) peuvent désormais être délocalisées quel que soit le secteur d'activité. Le phénomène s'accélère d'ailleurs dans l'ensemble des secteurs publics et privés. Les projets délocalisés peuvent avoir des tailles très variables allant d'une personne à plusieurs centaines de personnes par projet. Ainsi, de nombreuses tâches externalisées sont aujourd'hui délocalisées en offshore. Ceci concerne d'ailleurs un important nombre d'administrations publiques françaises.

Les emplois à valeur ajoutée qui nécessitent un grand savoir-faire ne peuvent pas être délocalisés : faux. La délocalisation ne se heurte nullement et n'est aucunement limitée par un quelconque manque de compétence locale dans les pays offshore. Toutes les tâches afférentes à une prestation de services sont susceptibles d'être délocalisées. Les formations des salariés offshore sont organisées de manière extrêmement professionnelle et se font en général beaucoup plus rapidement que les formations de salariés de niveau équivalent en France... Il suffit d'aller visiter un centre de production offshore pour s'en rendre compte et pour comprendre immédiatement que le mouvement de délocalisation n'est pas prêt de s'arrêter.

Les délocalisations résultent du niveau élevé des charges sociales en France : faux. Le coût salarial des pays "offshore" vers lesquels sont le plus souvent réalisées les délocalisations (Madagascar, Chine, Bangladesh, île Maurice, Vietnam, etc.) est aujourd'hui huit à dix fois moins élevé qu'en France. Au vu de cette réalité, l'impact d'une baisse des charges sociales en France sur les délocalisations ou la relocalisation vers la France est négligeable. Même une suppression totale des charges sociales ne pourra entraver les délocalisations à venir ni conduire au rapatriement d'un seul emploi en France.

Les services délocalisés sont de mauvaise qualité et ce défaut conduira à terme à des réinternalisations en France : faux. Le nombre de délocalisations, spécialement dans les services, augmente de manière exponentielle mais souvent ces projets sont très mal préparés, lancés trop vite (en raison de contraintes budgétaires) et sans structure d'encadrement adaptée pourtant nécessaire à toute externalisation. La cause des problèmes rencontrés dans le cadre de certaines opérations de délocalisation réside donc dans la plupart des cas chez nous et non pas à des milliers de kilomètres. L'expérience montre que les salariés des pays "offshore" sont souvent mieux formés, qu'ils sont parfaitement capables de traiter des tâches très complexes avec une excellente qualité, qu'ils maîtrisent beaucoup mieux les nouvelles technologies et que leur motivation et leur assiduité au travail sont excellentes.

Le phénomène des délocalisations va continuer à s'accentuer, c'est inéluctable ! Ni la gauche ni la droite n'ont aujourd'hui le pouvoir de s'y opposer efficacement. La seule question que l'on peut légitimement poser à tous les acteurs publics et aux acteurs privés engagés est celle-ci : quelles mesures prendre pour remplacer les dizaines de milliers d'emplois délocalisés par année ? C'est l'un des principaux challenges de la prochaine décennie.