La télévision de demain sera payante ou ne sera pas

Par Pascal Perri, économiste, auteur de "Ne tirez pas sur le foot" (Lattès, 2011)  |   |  764  mots
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L'attribution annoncée de nouvelles fréquences gratuites sur la TNT n'est pas une bonne nouvelle. Elle ne prépare pas la télévision française à la révolution en cours des pratiques de consommation télévisuelle. Pour intéresser les publicitaires, les nouvelles chaînes se voudront généralistes : une erreur, dans le contexte actuel.

Le développement de nouveaux outils de transport de flux comme les tablettes et les smartphones et l'émergence de très grands opérateurs Internet comme Google et Facebook vont radicalement changer le modèle de la télévision. Le temps est loin désormais, où la télévision se consommait assis, dans un salon, face à un meuble immobile. La consommation d'images est maintenant nomade et quasi permanente.

Les contenus qui étaient "réservés" à la télévision car adaptés à elle ne le sont - ou ne le seront bientôt - plus. En 2011, Facebook a diffusé un match de la FA Cup de football entre deux petites équipes amateurs des championnats britanniques. L'événement est passé inaperçu mais il avait valeur de test.

Avec ses 750 millions d'abonnés, Facebook voulait montrer que la télévision peut aussi être distribuée par de nouveaux opérateurs. Il faudrait ainsi être inconscient pour ne pas voir la révolution qui se prépare. Apple TV, Google TV... Avec leur force de frappe financière, l'impact de leur marque, Google et Apple pourraient cannibaliser une partie importante du marché de la télévision gratuite.

Quelles conséquences en tirer pour le modèle français de télévision ? L'attribution annoncée de nouvelles fréquences gratuites sur la TNT n'est pas la bonne nouvelle à laquelle on veut nous faire croire. Elle ne prépare pas la télévision française à cette révolution et pose à très court terme la question du financement de l'ensemble de la télévision gratuite française. Pour intéresser les publicitaires, les nouvelles chaînes gratuites épousent en effet un profil généraliste, peu clivant, et souvent très consensuel : information, rediffusion, fiction. Or le nombre des convives augmente autour de la table, mais le gâteau, lui, ne grossit pas : les budgets publicitaires ne sont pas élastiques. Les parts se réduisent au point de faire peser sur de nombreux opérateurs un danger mortel.

Pendant ce temps, les programmes innovants qui font la richesse éditoriale de la télévision se trouvent sur les chaînes du service public, alimentées par la redevance, et sur les chaînes payantes, alimentées par les abonnements. Ces dernières incarnent ainsi l'avenir le plus économiquement soutenable de notre télévision, mais à certaines conditions. Car la TNT payante subit un triple handicap. Tout d'abord, elle est confrontée à la position ultra-dominante de Canal Plus dans la distribution via CanalSat. CanalSat fixe les règles de rémunération des différentes chaînes de télévision, à son seul avantage, de telle sorte qu'aujourd'hui, aucune chaîne payante ne peut voir le jour sans la bénédiction de Canal Plus. Ensuite, la TNT payante se heurte aux coûts de diffusion. Il ne faut pas moins de 6 millions d'euros par an pour diffuser une chaîne HD. Enfin, elle doit mobiliser un très important stock de capital pour recruter des abonnés. Lancer une chaîne "à partir de zéro" est éminemment risqué. Ces barrières à l'entrée expliquent en grande partie la pénurie de candidats. C'est pourtant là, sur le terrain de la TNT payante, que des contenus originaux peuvent être produits au bénéfice de nombreux publics potentiels. C'est là aussi que les opérateurs pourront sanctuariser un modèle économique équilibré face à la menace de nouveaux opérateurs internationaux surpuissants comme Google.

Pour doper le dynamisme du marché de la TNT, le trop-plein de chaînes gratuites devrait être évité. Le CSA ne doit sans doute pas attribuer les six fréquences mises en jeu à des chaînes gratuites. Il doit, avec l'Autorité de la concurrence, faire immédiatement tomber les barrières à l'entrée de la TNT payante et encourager les vocations. Il est à cet égard paradoxal de voir certains crier au loup en voyant arriver les capitaux qataris, car aujourd'hui, en raison du contexte juridique et économique, Al Jazeera semble être la seule chaîne payante en mesure d'exister de manière pérenne ! L'Autorité de la concurrence a bien saisi ce problème en annulant la fusion Canal Plus/TPS. Il faut attendre désormais la suite, mais l'attribution prochaine de plusieurs canaux de TNT ne doit pas réduire cette initiative à néant.

N'oublions pas que la concurrence est saine, qu'elle bénéficie au consommateur en faisant baisser les prix. Le marché de la téléphonie mobile vient d'en faire la démonstration.