François Ecalle : la France n'est pas un pays inégalitaire !

Par François Ecalle  |   |  705  mots
François Ecalle a enseigné l'économie et la gestion publique dans plusieurs grandes écoles et il est actuellement chargé d'un cours de politique économique à l'université Paris I. Photo : DR
OPINION. Les inégalités de revenus en France, après impôts et transferts sociaux, sont inférieures à la moyenne des pays comparables et ont beaucoup moins augmenté au cours des vingt dernières années. L'ampleur de la redistribution y est plus importante, explique l'économiste François Ecalle (*).

Il existe de multiples manières de mesurer les inégalités de revenus. En particulier, on peut classer les ménages par quartiles, déciles, centiles... et comparer les revenus, moyens ou médians, des quantiles extrêmes au revenu, moyen ou médian, de l'ensemble de la population ou comparer les revenus des quantiles extrêmes eux-mêmes (le premier et le dixième décile par exemple). Selon l'indicateur retenu, les conclusions peuvent être totalement différentes.

Il existe un indicateur synthétique de mesure de ces inégalités, le plus fréquemment utilisé dans les comparaisons internationales : le coefficient de Gini. Celui-ci est construit en partant d'un graphique représentant la distribution des revenus dit « courbe de Lorenz » et en mesurant la distance qui sépare la courbe de Lorenz du pays considéré de celle qui correspond à une distribution parfaitement égalitaire (tous les ménages ont le même revenu). Le coefficient de Gini va de 0 (distribution égalitaire) à 1 (inégalité totale : un seul ménage accapare le revenu total).

Les coefficients de Gini relatifs aux revenus de l'ensemble des ménages, corrigés pour tenir compte de leur taille, sont calculés par l'OCDE, avant et après impôts et transferts sociaux. L'OCDE vient d'ailleurs de publier une intéressante étude sur les inégalités.

Coefficients de Gini après impôts et transferts sociaux
  France OCDE Zone euro Allemagne Royaume-Uni ItalieItalie Suède Espagne
1990 0,29 ND ND 0,26 0,35 0,30 0,21 0,34
2010 0,29 0,31 0,30 0,29 0,34 0,34 0,25 0,32

La France est moins inégalitaire que, en moyenne, les pays de la zone euro et de l'OCDE. Elle a un coefficient de Gini identique à celui de l'Allemagne, supérieur à ceux de l'Europe du nord et inférieur à ceux de l'Europe du sud, du Royaume-Uni et des pays non européens du G7.

Les inégalités n'ont pas augmenté en France au cours des vingt dernières années, contrairement à la plupart des autres grands pays de l'OCDE, notamment l'Allemagne et la Suède. Elles se sont réduites dans seulement un petit nombre de pays (comme le Royaume-Uni, très légèrement, et l'Espagne), qui étaient souvent très inégalitaires en 1990 et qui sont restés plus inégalitaires que la moyenne.

L'ampleur de la redistribution opérée dans chaque pays par l'Etat et les régimes de sécurité sociale peut être mesurée en comparant les coefficients de Gini avant et après impôts et transferts sociaux.

L'ampleur de la redistribution en 2010 (mesurée par l'écart entre les coefficients de Gini avant et après impôts et transferts sociaux)
France OCDE Allemagne Royaume-Uni Italie Suède Espagne
19 14 21 11 20 16 14

La France figure, avec l'Allemagne et l'Italie, parmi les pays où la redistribution est la plus importante. Elle est généralement plus limitée dans les autres pays européens, y compris en Suède mais le coefficient de Gini avant redistribution y est très faible. La redistribution est encore plus faible dans les pays non européens de l'OCDE, d'où un grand écart entre la France et la moyenne de l'OCDE.

Le coefficient de Gini a l'avantage d'être synthétique, mais il en a aussi l'inconvénient. Un pays peut avoir un coefficient de Gini faible tout en ayant un fort taux de pauvreté et une petite minorité très riche. Il doit donc être complété par d'autres indicateurs, notamment ceux qui décrivent les extrêmes de la distribution des revenus (taux de pauvreté, concentration des revenus sur le dernier centile...). Mais, comme les débats actuels portent beaucoup plus souvent sur ces indicateurs partiels, il faut de temps en temps mettre en avant des résultats plus généraux.

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(*) François Ecalle, économiste, a une longue expérience de l'élaboration et de l'évaluation des politiques économiques au sein de l'administration. Il a enseigné l'économie et la gestion publique dans plusieurs grandes écoles et il est actuellement chargé d'un cours de politique économique à l'université Paris I. Il a écrit plusieurs ouvrages, notamment Maîtriser les finances publiques ! Pourquoi, comment ?, Economica, 2005 (Grand Prix de l'Académie des sciences morales et politiques).