Et si les gouvernements s'inspiraient de Free et pratiquaient le "low-cost" ?

Par Christophe Agnus, chef d'entreprise  |   |  898  mots
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On devrait pouvoir appliquer à l'Etat les méthodes "low-cost" qui ont fait le succès de l'opérateur de téléphone. Démonstration.

On ne gère pas un Etat comme une entreprise. Là-dessus, le candidat Sarkozy de 2007 s'est trompé. Un Etat est un ensemble symbolique, historique, autour duquel les républicains de tous bords se retrouvent, se regroupent, pour le bien commun (en faisant attention de ne pas tomber dans le nationalisme). Et un Etat n'est pas un gouvernement. Et on peut gérer un gouvernement comme une entreprise...

 

Le modèle de Sarkozy : les groupes du Cac40

On ne parle plus ici de plusieurs millions de fonctionnaires, aux statuts compliqués, mais de quelques centaines, peut-être milliers, de conseillers, pour la plupart contractuels voués au spoil-system. On parle aussi de hauts-fonctionnaires détachés pour l'occasion, et voués eux à retrouver leur corps d'origine au terme de leur mission gouvernementale. Et là, et de loin, la gestion Sarkozy n'a pas été performante. Mais je vais lui trouver des excuses car, disons-le franchement, s'il a échoué c'est qu'il avait de mauvais modèles d'entreprises... Question simple : qui sont les amis, les proches, les modèles de patrons de Nicolas Sarkozy ? Les patrons de Bouygues, Orange, LVMH, Suez, EDF, etc... Des groupes puissants, certes, aux succès remarquables, certes, mais pas réellement des groupes connus pour une approche low-cost des opérations. Pourquoi le seraient-ils, objectera-t-on: ils gagnent beaucoup d'argent et peuvent dépenser sans compter. Objection retenue, tant que leurs salariés sont eux aussi contents de leur sort. A un détail près : l'Etat français, dont le gouvernement est l'organe central de direction, si on continue l'analogie avec l'entreprise, n'est pas vraiment en croissance forte, avec des résultats opérationnels à deux chiffres... Cela se saurait.

Tout doit être low-cost... sauf les salaires

Quand une entreprise est dans cette situation (très endettée, peu performante), elle réagit en serrant les boulons là où cela est possible : surtout pas dans la production ou le marketing, mais dans les services centraux. Les cadres de direction passent de la Première classe à la Business, voire à la classe Economie, le directeur financier se met à compter les stylos, négocie avec les cadres supérieurs pour la limitation des voitures de fonction, demande de faire un effort vers les clients, etc... Si c'est une start-up, ou une ancienne start-up, c'est encore plus simple: il n'a jamais été question de voyager en Première classe ni même d'attribuer des voitures de fonction. Des assistantes ou assistants ? Seulement quand c'est absolument nécessaire (c'est-à-dire pas souvent). Et partagés à plusieurs. Le mobilier ? Minimal. Efficace avant tout. Tout est "low cost", sauf le plus important : les salaires. Un entrepreneur sait qu'il faut mettre l'argent là où c'est important: pas dans les bureaux ni dans les signes extérieurs de statut, mais dans l'équipe. Les hommes et les femmes qui font ou feront le succès de l'entreprise.

Le rachat de Alice par Free

Le résultat : des équipes moins nombreuses en direction (je le répète, on ne touche pas à la production). Peu de niveaux hiérarchiques et une responsabilisation plus forte de chaque niveau. Des équipes moins nombreuses mais plus motivées (elles sont directement au contact de leurs résultats) et plus rapides, donc plus efficaces.

Un exemple? J'avais été frappé par une petite histoire qui s'est déroulée après le rachat de Alice, le fournisseur d'accès filiale de l'italien Telecom Italia (développé avec la culture d'un grand groupe du style Orange) par l'ancienne start-up qui n'en finit pas de monter, Iliad (maison mère de Free). Le problème était l'intégration des équipes marketing de Alice, 5ème du marché, avec celle de Free, 2ème du marché : il y avait 50 personnes à intégrer dans une équipe qui, chez Free, en comptait... 3.

Une histoire caricaturale, allez-vous me dire. Possible. N'empêche: réfléchissez un peu si on appliquait cette logique à un gouvernement ? 15 ministres au lieu de 33 ? Des équipes plus réduites apprenant à déléguer vers les administrations (et donc à responsabiliser à tous les niveaux) ? Des voitures avec chauffeur uniquement pour les ministres, des abonnements à une compagnie de taxi pour les conseillers. Des frais encadrés, limités, suivis. Plus de dépenses qui ne soient pas justifiées par un projet, un retour sur investissement (économique ou politique) à terme. L'utilisation évidemment des moyens de l'Etat quand c'est possible : il y a des logements dans les préfectures pour les conseillers ou ministres en déplacement. Etc...

Servir avant de se servir

Qu'est-ce que cela va changer? Beaucoup. Je ne parle pas ici des économies à réaliser. Tout le monde sait qu'elles seront marginales. Une goutte d'eau dans l'océan de dettes de l'Etat. Mais je parie que le gouvernement ainsi organisé serait moins "installé", et donc plus réactif, plus à l'écoute, moins aveuglé par le sentiment de sa propre importance, plus à l'écoute des problèmes des PME et des TPE qui sont les employeurs des Français (et pas le CAC 40, qui ne représente qu'une petite partie des emplois du pays), et au final plus efficace. Je parie aussi qu'il serait plus respecté des Français, qui verraient des hommes et des femmes ayant le soin de les servir avant de se servir.

Pour savoir si j'ai tort ou raison, je lance un défi au prochain gouvernement, quel qu'il soit : et si vous essayiez ?