Exilés fiscaux : que la traque commence !

Par Par Frédéric Boulier, responsable lutte anti-blanchiment Europe chez NICE Actimize  |   |  965  mots
Le débat sur la taxation des riches en France bat son plein. A l'impôt à 75% de François Hollande, Nicolas Sarkozy a répondu par l'Exit Tax et la volonté de faire payer l'impôt aux exilés fiscaux. Une idée qui s'inspire du "Foreign account taxation compliance act" (FATCA) que vont mettre en place les Etats-Unis d'ici la fin 2013 et qui va se généraliser dans les années à venir.

Où s'assoit un éléphant de 5 tonnes ? Où il le souhaite. Cette devinette a le mérite de s'appliquer à bon nombre de textes législatifs et réglementaires américains en général, et au FATCA ("Foreign Account Taxation Compliance Act") en particulier, texte dont le principal aspect est très certainement son caractère outrageusement extraterritorial.
Sans entrer dans des détails qui n'auraient pas leur place ici, le FATCA requiert des institutions financières non américaines notamment (banques, brokers, assureurs vie, ...) qu'elles dénoncent au fisc américain (l'IRS) ceux de leurs clients personnes physiques ayant des avoirs ou des investissements au-delà de certains seuils de matérialité (50.000 dollars US pour le seuil le plus bas) lorsque les clients en question sont de nationalité américaine. FATCA contient également des dispositions similaires s'agissant des entités détenues au-delà d'un certain seuil par des ressortissants américains.
Une question se pose ici : en quoi une institution financière non américaine se sentirait contrainte de se mettre en conformité avec le FATCA, loi américaine s'il en est ? En fait, les Etats-Unis ont prévu un mécanisme aussi machiavélique qu'inédit : à défaut de s'engager par écrit à respecter le FATCA et, partant, à transmettre les informations en question à l'IRS, les institutions financières non américaines s'exposent dès le 1er janvier 2014 à une retenue à la source de 30% sur tout paiement de source directe ou indirecte américaine. Par exemple. : une banque française, qui transmettrait un ordre de bourse à un courtier américain pour le compte d'un de ses clients français désirant traiter sur le Nasdaq. Rien n'oblige donc, juridiquement parlant, une institution financière non américaine à se mettre en conformité avec le FATCA. Pour autant, l'impact financier d'une telle impasse est si prohibitif qu'à l'exception des banques iraniennes, cubaines ou nord-coréennes, peu d'établissements d'un monde financier très largement globalisé peuvent en réalité se permettre de passer outre. Bien que contrainte par la puissance du mécanisme de la loi, la soumission au FATCA reste en définitive pleinement volontaire.
Très clairement, le but du FATCA - ainsi qu'énoncé dans l'exposé des motifs de la loi - est exclusivement pécuniaire : faire revenir dans les caisses du Trésor américain, au cours de la décennie à venir, une somme estimée à 7,6 milliards de dollars à recouvrer auprès des citoyens américains établis à l'étranger. Rappelons ici qu'avec les Philippines, les Etats-Unis sont le seul pays au monde - à notre connaissance - à exiger de ses ressortissants qu'ils payent l'impôt sur le revenu du fait de leur nationalité et ce, quand bien même ils ne percevraient aucun revenu ni n'auraient le centre de leur patrimoine ou de leur activité économique sur le sol américain.
Pourquoi, en fait, cet acharnement à traquer les "exilés fiscaux" ? Un peu d'histoire : en juillet 2007 éclate la crise des "subprimes", dont le paroxysme est atteint à l'automne 2008 avec la faillite de Lehman Brothers - le 15 septembre 2008 - et la débâcle financière historique qui s'en est suivie. Pour tenter d'enrayer cette crise sans précédent et de soutenir des croissances économiques déjà anémiées, les Etats les plus industrialisés de la planète, le G20, se réunissent à Londres le 2 avril 2009. Ils adoptent alors un train de mesures fortes, parmi lesquelles figure la fin du secret bancaire ("The era of banking secrecy is over"). Bien entendu, le secret bancaire et les paradis fiscaux non coopératifs - en termes d'échange d'informations fiscales - ne sont en rien responsables de la formation de la bulle spéculative des "subprimes" et de son explosion aux Etats-Unis. Qu'à cela ne tienne, le communiqué indique que la mesure vise d'abord à protéger les finances publiques des états concernés (" ... protect our public finances...").
Protéger les finances publiques est devenu d'autant plus stratégique que pour soutenir leur croissance, la plupart des pays du G20 se sont également engagés dans des programmes importants de relance keynésienne par la dépense publique. Et à de rares exceptions près, les dépenses supplémentaires ainsi engagées ces dernières années ont creusé les déficits publics à des niveaux et avec une célérité inégalés.
On le voit, FATCA ne fait que mettre en ?uvre une des dispositions les plus symboliques des engagements du G20 de Londres en 2009. Le 8 février 2012, la France, l'Allemagne, le Royaume Uni, l'Espagne, l'Italie et les Etats Unis ont publié une déclaration commune dans laquelle ils annonçaient réfléchir à la mise en place "d'une approche intergouvernementale de promotion internationale du civisme fiscal et de mise en ?uvre du dispositif FATCA" : ici encore, on est dans la droite ligne des mesures annoncées à Londres.
Personne ne saurait non plus feindre l'étonnement lorsque chacun des principaux candidats à l'élection présidentielle explique par le menu - fait rarissime en campagne électorale -, comment il s'y prendra pour augmenter la ponction fiscale et installer une rigueur qui ne dit pas son nom, une fois élu. Le 12 mars dernier, Nicolas Sarkozy n'a-t-il pas également proposé de lier nationalité française et assujettissement à l'impôt sur les revenus du capital ? Mêmes objectifs donc.
On le voit, le mécanisme de FATCA fait des émules et il y a fort à parier que beaucoup de gouvernements y adhèreront dans les années qui viennent, tant pour des raisons économiques que politiques. Ces pays formeront ainsi une sorte de "club" à géométrie variable dans lequel les informations relatives aux avoirs et investissements de personnes non ressortissantes seront échangées avec les administrations fiscales de leur pays d'origine. La traque aux exilés fiscaux commence maintenant !