Réindustrialiser la France

Aujourd'hui, l'industrie française est à la croisée des chemins. Soit nous restons engoncés dans nos schémas classiques, et risqués ; soit nous décidons d'une ambition industrielle exigeante, mais excitante, socialement mobilisatrice et techniquement innovante pour exister de nouveau sur la scène internationale à partir de nos bases territoriales. Pouvons-nous encore faire l'économie d'un tel programme ?
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Parmi les principaux enjeux de la campagne présidentielle, la nécessaire réindustrialisation de notre pays fait l'unanimité au sein de la classe politique française. Ce n'est un secret pour personne : notre industrie a perdu près de 100 000 emplois en trois ans. La situation économique actuelle, les résultats de notre balance commerciale, la montée du chômage, tous les indicateurs montrent qu'il est urgent d'agir. La situation économique d'autres pays ayant également fait choix de la désindustrialisation, comme la Grande-Bretagne, ne fait que confirmer l'analyse : point d'économie florissante sans industrie. Et ce ne sont pas nos voisins allemands, qui ont, eux, choisi très tôt de renforcer leur industrie en misant sur la qualité et l'innovation avec les résultats que l'on connait, qui nous diront le contraire.

En France, seuls quelques fleurons comme l'agroalimentaire, le luxe et l'aéronautique, ont réussi à tirer leur épingle du jeu. Ces exceptions sont loin d'être suffisantes pour assurer une balance commerciale équilibrée, mais leur modèle, basé sur un savoir-faire à la française et une expertise haut-de-gamme ne souffrant pas la délocalisation, a le mérite de dessiner des pistes que d'autres branches pourraient explorer.

L'automobile par exemple. Ce secteur, qui représente un tiers des suppressions d'emplois, a particulièrement fait les frais d'un positionnement moyen de gamme. La qualité incontestée du "made in France" n'a pas suffit pour lutter contre le dumping social des pays émergents. Il est aujourd'hui impossible de lutter contre un écart considérable des coûts de production entre la France et la Chine, même si cette dernière doit faire face à une augmentation continue de ses rémunérations. L'industrie automobile française, si elle veut stopper l'hémorragie, doit se concentrer sur de nouvelles pistes de développement, et un secteur haut de gamme largement préempté par l'Allemagne. Car il est fort à parier que la clé de la reprise industrielle se niche bel et bien dans l'innovation. Au lieu de chercher à rattraper notre retard, il nous faut prendre de l'avance en investissant des domaines d'expertise ciblés, des marchés à fort potentiel de croissance sur lesquels tout le monde part à égalité. La voiture électrique en est un magnifique exemple, et les efforts faits par les groupes français dans ce domaine montrent qu'ils sont quelques uns à l'avoir compris.

Mais pour réindustrialiser, nous devons aussi lutter contre certains mirages quant à telles industries potentiellement non transférables, comme les énergies vertes, éolien, photovoltaïque ou recyclage des déchets... Certes, elles ont pour avantage majeur de devoir être proche du consommateur donc peu délocalisables. Cependant, elles sont encore onéreuses et certaines filières (photovoltaïque notamment) s'essoufflent, même outre Rhin. Sur ce registre ne faut-il pas davantage de cohérence dans l'organisation de ces filières ? Par exemple, une législation volontariste qui permette de structurer et développer les énergies d'amont ou d'aval serait un outil attractif de nature à favoriser l'initiative industrielle sur notre sol.


Toutes ces pistes de développement sont à mettre en ?uvre. Le défi que doivent maintenant relever les hommes politiques réside dans leur accompagnement. En amont, l'Etat doit souder les entreprises, les banques et les universités dans une synergie commune. En Allemagne et aux Etats-Unis, le lien entre les producteurs et le milieu de la recherche universitaire est beaucoup plus étroit (logique des « clusters » ou pôle de compétitivité), ce qui facilite le passage de la compétence et le recrutement d'un personnel qualifié. En aval, l'Etat doit encourager les activités émergentes, notamment sur un plan fiscal, car le tendon d'Achille de l'innovation est son financement, la préservation des marges, des capitaux propres qui sont les leviers vitaux du développement de toute activité. Cela passe nécessairement par un rééquilibrage de la pression entre les producteurs et les consommateurs en contrepartie d'un engagement à produire sur le territoire. C'est le sens de la question posée aujourd'hui par la TVA sociale.

Les patrons ont également leur rôle à jouer. Il leur revient de travailler leur image pour attirer les talents : une question de positionnement de produit. La relation avec les partenaires sociaux est également à revisiter afin de mieux associer les collaborateurs aux prises de décisions dans une vertueuse « co-construction ». Des propositions existent aujourd'hui. Ce changement de posture n'est pas un rêve inaccessible. Au-delà, le rapport de force imposé par des fabricants intransigeants à leurs sous-traitants est à revoir. Les grands groupes profitent de leur monopole pour acheter au plus bas, s'accaparer les brevets et imposer des conditions tyranniques en matière de trésorerie. Résultat : les sous-traitants, des PME pour la plupart, disparaissent les uns après les autres. Devenus la variable d'ajustement d'une industrie en crise, ils ont du mal à innover. Si la France a pu se spécialiser dans les produits plastiques, c'est pourtant grâce à leur créativité ! L'automobile n'est pas la seule concernée. Dans l'aéronautique, le marché des matériaux composites représente également un enjeu majeur : il s'agit d'un domaine de pointe, sur lequel la France doit veiller à ne pas se laisser dépasser.

Aujourd'hui, l'industrie française est à la croisée des chemins. Soit nous restons engoncés dans nos schémas classiques, et risqués ; soit nous décidons d'une ambition industrielle exigeante, mais excitante, socialement mobilisatrice et techniquement innovante pour exister de nouveau sur la scène internationale à partir de nos bases territoriales. Pouvons-nous encore faire l'économie d'un tel programme ?

 

 

Xavier Sabouraud, Président d'Alter&Go Groupe est co-auteur de l'ouvrage « Le livre du changement,  ou l'extraordinaire aventure de Philippe, Frédéric, Anne et les autres »

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