"Les dividendes du Fouquet's"

Par Par Renaud Coulomb (Ecole d'économie de Paris) et Marc Sangnier (Sciences Po et Ecole d'économie de Paris)  |   |  982  mots
La valeur boursière des entreprises dirigées ou détenues par des proches de Nicolas Sarkozy a augmenté de près de 7 milliards d'euros suite à sa victoire à l'élection présidentielle de 2007. C'est ce que montrent deux chercheurs de l'Ecole d'économie de Paris dans une étude sur l'impact des majorités politiques sur le marché boursier français.

La valeur boursière des entreprises dirigées ou détenues par des proches de Nicolas Sarkozy a augmenté de près de 7 milliards d'euros suite à sa victoire à l'élection présidentielle de 2007. Mais sa victoire et son corollaire, la défaite de Ségolène Royal, n'ont pas eu d'effet particulier sur la bourse en général ou sur un secteur d'activité spécifique. Selon les investisseurs, l'élection de Nicolas Sarkozy a bénéficié surtout à ses proches et non à l'ensemble des entreprises cotées. Ces résultats sont le fruit d'une étude sur l'impact des majorités politiques sur le marché boursier français lors de la précédente élection présidentielle (retrouvez l'étude complète ici).

Quelles entreprises ont bénéficié de la victoire de Nicolas Sarkozy ?

Cette étude permet de répondre aux questions suivantes : quelles entreprises ont bénéficié de la victoire de Nicolas Sarkozy ? Quelles entreprises auraient gagné à celle de Ségolène Royal ? Sur quels critères se basent les acteurs de marché pour investir et spéculer ? Croient-ils aux réformes annoncées dans les programmes électoraux des candidats ? Pensent-ils que les entreprises proches de Nicolas Sarkozy bénéficieront de son élection ?

Ces questions sont loin d'être secondaires et réapparaissent très souvent dans le débat public. Cependant peu de réponses y ont été apportées. L'exercice semble pourtant aisé : il suffirait de regarder l'évolution des cours boursiers juste avant et juste après la victoire de Nicolas Sarkozy pour analyser son effet.

Mais ce n'est pas si simple. Les acteurs du marché boursier s'échangent quotidiennement des actions en anticipant pour partie l'issue des élections, de sorte que seules les véritables surprises électorales apparaissent avoir un impact sur les cours boursiers autour dujour de l'élection. C'est la corrélation éventuelle entre les cours boursiers et les probabilités de victoire des différents candidats qui est en réalité porteuse d'informations. La littérature économique américaine a, depuis une décennie, trouvé une aide précieuse dans l'analyse des cotes des paris politiques pour révéler ces probabilités. Nous avons suivi cette voie.

En 2007, la valeur des entreprises détenues par des proches de Nicolas Sarkozy s'est accrue de 7 milliards d'euros en quelques mois

La valeur boursière d'une entreprise reflète l'espoir placé en sa performance future. Nous nous sommes intéressés à la relation entre les changements de cotations des entreprises du SBF 120 et les variations des probabilités de victoire de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal au cours des mois précédant l'élection présidentielle de 2007. C'est plus précisément les rendements boursiers d'une entreprise expurgés de la tendance générale du marché que nous analysons. Ces rendements qui ne peuvent s'expliquer par l'évolution globale de la bourse sont appelés rendements anormaux.

Les résultats de cette analyse sont éloquents. Les entreprises détenues ou dirigées par des proches de Nicolas Sarkozy ou censées tirer parti de ses engagements électoraux voient leurs rendements anormaux croître avec l'augmentation de ses chances de victoire. Mais l'effet transitant par le réseau social est de loin plus important que le premier. Les entreprises dirigées ou détenues par les amis les plus proches de Nicolas Sarkozy (Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Martin Bouygues, Serge Dassault, Jean-Claude Decaux, Paul Desmarais, Arnaud Lagardère et François Pinault) sont les plus favorisées par son élection. La valeur boursière des entreprises proches de Nicolas Sarkozy s'est accrue de près de 7 milliards d'euros en quelques mois. Les entreprises censées bénéficier de ses choix de politique économique ont également vu leur capitalisation augmenter mais dans une moindre mesure. Quid de l'impact d'une élection virtuelle de Ségolène Royal ? Selon nos résultats, une telle victoire n'aurait pas eu d'impact particulier sur les rendements des entreprises censées bénéficier des réformes annoncées par la candidate. Les liens d'amitié entre hommes politiques et hommes d'affaires sont donc un critère de choix des investisseurs, bien plus que les engagements électoraux des différents candidats.

Tableau 1

Variation de la capitalisation boursière des entreprises proches de Nicolas Sarkozy imputable à sa victoire (en millions d'euros)
Entreprise Capitalisation boursière

Variation imputable à la victoire de N.Sarkozy

ACCOR (Gilles Pélisson) 11691 68
ALSTOM (Patrick Kron) 12015 1323
AREVA (Anne Lauvergeon) 795 48
AXA (Henri de Castries) 58668 501
BNP Paribas (Michel Pébereau) 74344 1258
BOUYGUES (Martin Bouygues) 15026 639
DANONE (Franck Riboud) 29851 -43
DASSAULT SYSTEMES
(Serge Dassault)
4659 132
EADS (Arnaud Lagardère) 18648 89
HAVAS (Vincent Bolloré) 1785 103
IMERYS (Paul Desmarais, Albert Frère) 4140 230
IPSOS (Pierre Giacometti) 920 -10
JC DECAUX SA (Jean-Claude Decaux) 4742 114
LAFARGE
(Paul Desmarais, Albert Frère)
19090 755
LAGARDERE SCA (Arnaud Lagardère) 7831 279
LVMH (Bernard Arnault) 37309 -208
PPR (François Pinault) 13837 642
TF1 (Martin Bouygues) 5991 219
VEOLIA ENVIRONNEMENT
(Henri Proglio)
20190 542
Variation totale 341530 6681
Note : entre parenthèses est indiqué le nom du proche de Nicolas Sarkozy qui possède ou dirige l'entreprise concernée

Les conclusions de notre étude sont de deux natures. D'une part, pour les acteurs de marché les deux principaux candidats sont apparus relativement substituables puisque la dynamique générale de la bourse n'était pas corrélée avec la probabilité de victoire d'un candidat. D'autre part, ces mêmes acteurs s'attendaient à ce que les entreprises proches de Nicolas Sarkozy bénéficient davantage de ses décisions que les autres entreprises. Ainsi, les investisseurs qui ont cru en l'élection de Nicolas Sarkozy et auraient eu vent de la liste des invités du Fouquet's ont pu faire de belles plus-values en quelques mois en 2007.

Note : Renaud Coulomb et Marc Sangnier « Impacts of Political Majorities on French Firms: Electoral Promises or Friendship Connections? » Working Paper Paris School of Economics, 2012.

Le site de PSE - Ecole d'économie de Paris sur www.parisschoolofeconomics.eu