"Mettre vraiment l'investissement au service de l'avenir"

Mettre la propriété intellectuelle au service de la création d'emplois innovants, pas de l'intérêt court terme des financiers ; et construire une véritable Europe de l'innovation et de l'industrie : voilà les enjeux pour mettre véritablement l'investissement au service de l'avenir.
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L'Office européen des brevets vient de publier son rapport annuel, véritable baromètre mondial de l'innovation. Le constat est sans appel. Les déposants qui ont connu la croissance des dépôts la plus rapide en 2011 sont : la Chine, numéro 1 avec une augmentation de 33,4 % par rapport à 2011, le Japon (numéro 2, + 21 %), la Corée (numéro 4, + 8 %). La Russie, le Brésil, l'Inde ont aussi enregistré une croissance à 2 chiffres. Si les Etats Unis, le Japon et l'Allemagne représentent toujours à eux trois près de 60 % des brevets mondiaux, ils sont maintenant talonnés par la Chine qui a progressé de 175 % entre 2007 et 2011. Si les tendances actuelles se poursuivent, à l'horizon 2020, les dépôts de brevets PCT se déplaceront massivement vers l'est : 18 % pour l'UE, 15% pour les Etats-Unis et 55 % pour les cinq pays asiatiques les plus avancés.
Les deux premiers déposants de brevets français sont le groupe Safran, en 35ème position, immédiatement suivi du CEA. Si l'on regarde maintenant le top 50 des régions qui déposent le plus de brevets dans le monde, seules deux régions françaises apparaissent, l'Ile de France au 9ème rang et Rhône-Alpes au 29ème rang, tandis que l'on y retrouve 8 régions allemandes. Cette différence peut s'expliquer par le fait que l'Allemagne n'a jamais cessé d'entretenir sa compétitivité industrielle, grâce à un tissu d'ETI puissantes, soutenues par des Régions dotées de moyens, irriguées par l'innovation des Instituts Fraunhofer, opérant avec efficacité les transferts technologiques de la recherche vers l'industrie. Le tout avec des banques régionales, proches du terrain et des entreprises qu'elles financent.
Cette perte de terrain de la France en matière de Propriété intellectuelle (PI) et industrielle est à mettre en corrélation avec la délocalisation et les Investissements Directs à l'Etranger des grands groupes français au cours de ces 10 dernières années, à l'origine d'une partie de la perte de 750.000 emplois industriels dans la période. De même, l'évolution de la part de R&D offshore et celle des flux financiers de droits de propriété intellectuelle entre Etats sont directement corrélés. Pour les grands groupes français, cela se traduit par une tendance lourde à transférer les droits de propriété intellectuelle acquis en France vers leurs filiales à l'étranger (données World Bank flux financiers DPI). Les transferts se font principalement vers la Chine, l'Inde et Singapour. En 2009, la France a exporté 9,3 milliards de dollars de droits de propriété intellectuelle et en a importé 5,2 milliards.
Cela correspond à une fuite de propriété intellectuelle de 4,1 milliards de dollars avec pour conséquence :
- la perte de plusieurs centaines de milliers d'emplois
- un tarissement progressif de la source de propriété intellectuelle nouvelle en France, les laboratoires de R&D externalisés déposant la propriété intellectuelle dans les pays où ils sont installés.
- un impact direct sur la balance du commerce extérieur, la compétitivité technique des produits fabriqués à l'étranger progressant au détriment de celle des produits fabriqués en France, phénomène accentué par l'effort sans précédent en faveur de l'éducation, la recherche, l'innovation accompli la Corée, la Chine, Singapour....
Le cercle vicieux initié par la fuite des capacités de production, qui entraîne celle de la R&D, puis de la propriété intellectuelle, enfin la baisse de la compétitivité technique et des parts de marché des produits nationaux, est implacable. Il faut le rompre en commençant par le commencement c'est-à-dire par une véritable stratégie de ré-industrialisation par l'innovation. C'est ce que propose François Hollande dans son pacte industriel. Priorité donc au soutien des PME-ETI, dont l'OCDE montre sans ambiguïté qu'elles sont partout les principaux moteurs de l'innovation et de l'emploi. Or notre pays ne compte que 32 % de PME et ETI innovantes contre 54 % en Allemagne, 57 % en Suisse, 42 % en Finlande. Notre capacité à innover en a directement souffert : nous sommes tombés de la 8ème place mondiale en 1995 à la 22ème en 2011 et à la 10ème en Europe, comme la Hongrie ou l'Estonie. Il est urgent d'orienter tous nos efforts vers la valorisation de notre recherche, la diffusion de l'innovation dans le tissu des PMI PME et des ETI à fort potentiel de croissance, le développement de filières d'avenir comme les biotechnologies, les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, les éco-technologies, les nanotechnologies, les domaines prometteurs comme la biologie de synthèse, grande absente des Investissements d'Avenir. La création, enfin, puisqu'il fait l'objet d'annonces depuis plus de vingt ans, d'un brevet européen, moins coûteux et plus accessible aux PMI PME, serait aussi un grand pas en avant.
Ce que nous préconisons, c'est de mettre la propriété intellectuelle au service de la création d'emplois innovants, pas de l'intérêt court terme des financiers. Il faut donc lui redonner cette mission d'intérêt général, éviter les fausses bonnes idées qui risquent d'en faire un objet spéculatif (SATT des Investissements d'Avenir, Bourse européenne des brevets...) et agir aux bons niveaux :
. réorienter l'exploitation de la propriété intellectuelle du secteur public vers l'activité industrielle française, en accordant aux universités et organismes de recherche les droits de propriété intellectuelle de toutes leurs inventions financées ou cofinancées par l'Etat, avec une priorité à leur exploitation par les entreprises françaises, d'abord les PMI-PME et ETI industrielles sur le territoire national. Cette disposition reprend l'esprit du Bayh-Dole Act aux Etats Unis,
. booster l'innovation dans les PME, en instaurant un programme de type SBIR (Small Business Innovation Research)
.créer un Fonds Stratégique de l'Innovation, dédié aux start-up technologiques,
. favoriser les plates formes de transfert technologiques, en s'appuyant sur le savoir faire d'organismes expérimentés en la matière
. faire animer tout le dispositif d'innovation par les Régions, au plus près du tissu économique et de la recherche, en simplifiant et en regroupant les dispositifs d'aide et de financement de l'innovation pour les PMI PME ETI : banque publique d'investissement, FSI, Oséo, organismes de valorisation, fonds d'amorçage
Enfin, et ce sera ma conclusion, la stratégie européenne Horizon 2020 doit permettre de construire une véritable Europe de l'innovation et de l'industrie. Nous avons besoin de la taille critique de l'Europe pour affronter la compétition mondiale et nous avons besoin d'innover afin de répondre aux défis pour 9 milliards d'humains en 2050 : le changement climatique, l'accès aux ressources, les nouveaux risques sanitaires, la solidarité Nord-Sud. Nous disposons, en France, au sein de l'Europe, des connaissances permettant de développer des solutions utiles dans tous ces domaines. Nous devons être entreprenants, pragmatiques, créatifs et solidaires et mettre la Propriété Intellectuelle au service de notre industrie et non de la spéculation : ce sera notre meilleure politique de Propriété intellectuelle et de création d'emplois innovants.

 

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Commentaires 4
à écrit le 13/04/2012 à 15:03
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"nous avons besoin de la taille de l'europe pour affronter la compétition mondiale" parfaite ineptie qui doit bien faire rire les pays suivants : Hong kong, singapour, Suisse, Finlande, Suède, NZ, Corée du sud, Taiwan, etc etc ... en quoi la ta...

à écrit le 13/04/2012 à 9:51
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à Mr Alex.... Mr, savez vous que les "grands goupes français" sont les traitres à l'économie française, à l'emploi....stop aux maintien de l'oligarchie crapuleuse des X, ponts et centrale....via les joint venture avec ENA.... LES PME ne délocalisen...

le 14/04/2012 à 20:13
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Parfaitement d'accord !! L'avenir passe plus par les PME que les grands groupes soumis aux caprices de leurs financiers.

à écrit le 12/04/2012 à 20:19
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Ne faut-il pas plutot favoriser l'innovation au sein des grands groupes français par des incitations à relocaliser la R&D en France, via des dotations d'Etat par exemple ?

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