Romney contre Léviathan : qui va gagner ?

Pierre Lemieux est professeur associé à l'université du Québec en Outaouais et au-teur de « Une crise peut en cacher une autre » (Les Belles Lettres, 2010).
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Plusieurs observateurs croient que la campagne à la présidence américaine, où Barack Obama affrontera vraisemblablement Mitt Romney, sera axée sur le thème de la taille de l'État. Le magazine The Economist (qui avait soutenu Obama en 2008) s'en est fait l'écho la semaine dernière. Le candidat républicain, aiguillonné par le Tea Party, proposerait de réduire la taille de l'État, alors que le président démocrate, porté par les syndicats et les intellectuels de gauche, défendra le statu quo, voire la nécessité d'engraisser l'État davantage.


Il n'est pas certain que ce débat définira la campagne électorale. Une raison concerne la possibilité que les candidats convergent vers le centre, une question complexe sur laquelle je reviendrai dans des chroniques ultérieures. Mais si tel était le thème de la campagne, M. Romney se retrouverait en terrain dangereux, car il n'a pas grand-chose dans sa manche pour attaquer la taille de l'État fédéral, qui atteint maintenant 24% du PIB américain (les États et les administrations locales y ajoutent 11%). Il promet de ramener les dépenses fédérales à 20% du PIB, légèrement au-dessus du ratio moyen de 19% des quarante dernières années. Mais il ne sait pas comment faire, et pour cause.


Le projet usé d'amincir l'État en « réduisant le gaspillage et la fraude », que M. Romney reprend, ne mènera nulle part. Cet objectif fait partie des scies politiciennes connues : Ronald Reagan l'avait déjà invoqué sans grand succès durant les années 1980 ; le dernier budget de Barack Obama l'a repris dans les mêmes termes. Or, on peut calculer qu'augmenter la productivité des fonctionnaires fédéraux de 25% permettrait au grand maximum de réduire les dépenses de l'État fédéral de 2% à 5%, presqu'une goutte d'eau dans la mare d'un déficit qui équivaut à 30% des dépenses fédérales.


Au cours de ses deux mandats, Ronald Reagan avait fait passer les dépenses fédérales de 22% à 21% du PIB, et ce en bonne part parce que la croissance économique avait poussé le dénominateur à la hausse. La dure réalité, à laquelle s'était heurté Ronald Reagan et qui viendrait hanter la Maison Blanche de Mitt Romney, est qu'il est impossible de réduire l'État fédéral américain sans une remise en question radicale des missions qu'il s'est arrogées.


Les chiffres parlent d'eux-mêmes. M. Romney promet en gros de ne pas toucher aux retraites publiques (la Social Security), ni à l'assurance-maladie des Américains âgés (Medicare), ni à la défense nationale. Ces trois catégories de dépenses comptent respectivement pour 23%, 15% et 24% des dépenses fédérales de programmes (les dépenses autres que d'intérêt). Leur total dépasse 60% des dépenses. C'est donc seulement dans 40% du budget que M. Romney envisage des coupures. Ça commence mal.


Le candidat républicain promet que les dépenses fédérales annuelles auront été réduites de 13% à la fin de son premier mandat. Ces 13% ne visant que 40% des dépenses, c'est du tiers qu'il devrait réduire ces dépenses non intouchables, qui comprennent essentiellement l'assurance-maladie publique pour les pauvres (Medicaid), la sécurité du revenu et l'éducation - et surtout les subventions à ce titre aux États et aux administrations locales. Ça va mal finir.


On comprend que M. Romney soit avare de précisions sur la nature des coupes. Les exemples très généraux qu'il donne sur son site web produisent à peine plus de 300 milliards de dollars d'économies, soit moins des deux tiers de l'objectif qu'il se fixe.

 

Répétons-le : réduire les dépenses de l'État fédéral de manière significative exigerait de remettre radicalement en cause l'interventionnisme étatique et le pouvoir de l'État. Or, il est fort douteux que M. Romney, qui n'a pas de philosophie bien campée, veuille procéder à une telle remise en cause. À l'instar des conservateurs, il ne déteste pas le pouvoir étatique, pourvu qu'il serve ses propres valeurs. Et même s'il souhaitait vraiment réduire la taille de l'État, il est encore plus douteux qu'il soit capable d'y arriver : il échouerait tout comme Ronald Reagan avant lui.


En Amérique comme ailleurs dans le monde, l'État semble incontrôlable.Il porte bien le nom de Léviathan dont le philosophe Thomas Hobbes, dans son livre de 1651, l'avait avec admiration baptisé.
 

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Commentaire 1
à écrit le 24/04/2012 à 4:23
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Ce cher Nietzsche avait une opinion semblable sur l'État: ..."L'Etat, c'est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « moi, l'Etat, je suis le peuple ». C'est un mensonge !"

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