Comment la France peut-elle devenir une société génératrice de richesses

Par Isaac Getz Professeur à ESCP Europe, expert APM et auteur de « Liberté & Cie » (Fayard, 2012)  |   |  1145  mots
Copyright Reuters
Il y a une question quasi absente dans cette campagne présidentielle : Comment la France peut-elle devenir une société génératrice de richesses ? Le Forum Économique Mondial nous livre pourtant plusieurs pistes.

Le Forum Mondial, Davos, les puissants de ce monde ? Ca on entend parler. Ce qu'on connait moins c'est que le Forum Mondial est aussi à l'origine d'un autre évènement. Il publie chaque année le rapport de la Compétitive Globale (en anglais, Global Competitiveness Report). Couvrant 142 pays, le rapport fournit un outil de comparaison aux politiques et aux patrons d'entreprises. Comment ? Grâce au classement de pays à travers une centaine de critères regroupés en douze axes. Tels que : institutions, infrastructure, santé, éducation, ou sophistication des entreprises et innovation.
Sur les 142 pays, quelle place la France occupe-t-elle dans ce classement? La France est 18e. Elle était 15e l'année dernière. C'est la faute de la dette, me direz-vous ? Il est vrai qu'on est en 130e place sur ce critère.Mais, l'Allemagne et Les Pays Bas sont aussi mauvais pour leur dette mais ils sont 6e et 7e dans la compétitivité globale.
On peut continuer à se trouves des excuses mais ce qui est intéressant, c'estregarder comment la France peut mieux faire.
Il y a, par exemple, dans l'axe« Institutions » un critère au nom qui fait rêver?ou pleurer : "lourdeur des réglementations gouvernementales". La France est 116e sur 142 pays. Il y a du travail pour les politiques. Mais ce rapport est aussi un outil pour les patrons d'entreprises. En effet, il propose de nombreuses pistes.
Prenez la première. Pour l'axe la "souplesse du marché de travail" la France est 68e. Merci le code de travail. Mais faisons un zoom sur un des neufs critères de cet axe : "Coopération dans les relations salariés-patrons". Sur 142 pays, nous sommesen 133e position. Vous nommez un pays ?Moldavie, le Lesotho, même le Kazakhstan de Borat? et bien, ils arrivent devant la France. Mais il y a encore plus fascinant.
Les 11e et 12e axes sont la sophistication des entreprises et l'innovation. Axes vitaux pour les pays développés qui ont essentiellement épuisé les sources plus simples de la performance économique.L'innovation, on en parle beaucoup?par ailleurs, trop au niveau de l'état et pas assez au niveau de l'entreprise. Mais le 11eaxe, sophistication des entreprises, est aussi important que l'innovation pour l'avenir de la France. On est 14e dans cet axe. Un bon résultat. Alors que fait-on ? On passe au point suivant ? Ce serait une grave erreur.
Les joueurs de tennis, par exemple, arrivent au sommet de l'éliteen maitrisant parfaitement tous les aspects du jeu, comme Federer. Mais il y a une autre manière. Attendre le sommet en travaillant son point déjà très fort et le rendre exceptionnel. Regardez le coup droit sur la terre battue de Nadal.
Pour l'axe « sophistication des entreprises » la France est déjà forte. Mais peut-elle devenir exceptionnelle et si oui, comment ? Sur les neuf critères de cet axe les entreprises françaises sont déjà fortes en huit : marketing, qualité des fournisseurs locaux,etc. Mais le 9e critère nous plonge en Asie Centrale : la volonté de déléguer l'autorité dans l'entreprise.
Quelle place occupe-t-on pour la volonté de déléguer ? On est 55e. Les Pays-Bas sont 5emes. L'Allemagne,15e. Oui, l'Allemagne qu'on imagine en France comme culturellement obéissante. En l'occurrence, c'est nous qui avons un problème culturel. Pierre Servant, auteur du livre "Le complexe de l'autruche" explique d'ailleurs comment ce cliché des militaires allemands obéissants nous a fait perdre ou presque trois guerres. Il n'hésite pas de qualifier la France de pays encore monarchique.
Peut-être. Mais je suis optimiste. Je pense, et je l'ai vu, que la culture peut être changée. Pas au niveau du pays. Laissons cette hypothèse aux utopistes Orweliens, mais au niveau de l'entreprise. En effet, l'entreprise est une petite communauté régie par les normes comportementales, le "comment les choses se font ici ?". Le patron peut négliger ces normes, et alors s'imposeront à son entreprise les normes ambiantes. Ou il peut essayer de les construire. Quand elles seront partagées par 70-80% des salariés, ce patron construira alors la culture de son entreprise.
Ce n'est pas une utopie. Pendant 5 ans, j'ai étudié plusieurs dizaines d'entreprises, y compris Françaises, dont les patrons ont réussi à construire une telle culture. Et non seulement de délégation de l'autorité mais de liberté complète des salariés.Dans l'entreprise libérée les salariés ont une liberté et une responsabilité complètes d'entreprendre toute action qu'eux-mêmes?pas leur chef ou une procédure?décident comme la meilleure pour l'entreprise. Elle est donc le contraire total de la bureaucratie hiérarchique majoritaire dans les entreprises françaises. Dans toutes ces entreprises on essaie de résoudre le problème de salariés désimpliqués. Comment ? En les motivant par les vieilles recettes du bâton et de la carotte. In fine, ceci n'est pas du management mais de la manipulation. Pire, toutes les autres pratiques de management qui justement conduisent à cette désimplication?de la pointeuse aux privilèges de managers et de dirigeants?ne sont jamais remises en cause. Les salariés ne sont pas dupes : ils prennent la carotte mais continuent d'être désimpliqués.
Au lieu de manipuler les gens et d'ignorer leurs besoins, l'entreprise libérée les nourrit. Les leaders de ces entreprises ont pris du temps?de 3 à 10 ans?pour construire un environnement qui satisfait les trois besoins humains universels: être traité comme intrinsèquement égal, c'est à dire avec respect, confiance, et bienveillance ; développer son potentiel ; et s'auto-diriger. Plus ces trois besoins sont satisfaits et plus les gens sont performants et?grande surprise?heureux.
C'est ce qui se passe dans une fonderie picarde FAVI, leader mondial dans son secteur de niche qui exporte en Chine (oui, en Chine !!) ou chez un fabricant alsacien de moteurs électriques SEW Usocome. Leader européen, il n'a mis au chômage technique personne quand il a perdu 30% de son carnet de commandes en 2009. Qui a dit que l'industrie n'a pas d'avenir en France ? Mais nous avons rencontré des entreprises libérées dans tout secteur, de toutes tailles, privées et publiques.
Ces entreprises démontrent une volonté de donner la liberté totale d'initiative à leurs salariés, mais aussi, elles n'ont aucun conflit social depuis de décennies. Donc, plutôt que d'être 133e sur ce critère, la France peut devenir la 1ere.
Si les patrons veulent libérer leur entreprise, ils peuvent le faire comme l'ont fait les autres. Et du coup, ils hisseront la France dans le top 10 des nations les plus compétitives du monde. Ainsi, on aura plus d'investisseurs, plus d'activité et moins de dette.
La France veut-elle renouer avec la croissance pour rester le pays où « il fait bon vivre » ? Patrons de France, libérez vos entreprises !