Le défi des pays émergents, une chance pour la France

Par Christian Deseglise*  |   |  929  mots
Les pays émergents font peur ... et sont dans l'imaginaire collectif responsables de tous nos maux : non seulement ils nous inondent de leurs produits, mais en plus ils poussent à délocaliser pour bénéficier d'une main d'œuvre à bon marché, générant ainsi du chômage sur le Vieux Continent.

Et si nous cessions d'avoir peur. Si nous prenions conscience du changement de donne ? On a mangé le pain noir de la mondialisation, celui des délocalisations. Le moment est venu d'entamer notre pain blanc. Si nous saisissions cette extraordinaire opportunité qui s'offre à nous en France ? Qu'ils soient colombiens, brésiliens, africains, chinois, indiens, russes ou indonésiens, nos nouveaux clients émergents ont tous la même soif de consommation, la même confiance dans l'avenir, les mêmes besoins considérables de gens qui n'avaient rien et qui souhaitent maintenant vivre comme nous. Et quand des milliards de personnes souhaitent s'équiper, s'habiller, voyager ou se divertir, c'est un nouvel Eldorado qui s'offre à nous.

Pas de temps à perdre
Mais, il n'y a pas de temps à perdre. Jusqu'à la fin 2009, l'Asie Pacifique ne méritait qu'une modeste note de bas de page dans les rapports financiers d'Apple. Ce n'est qu'à partir de cette date, rappelle le Wall Street Journal (« For Apple, China is Middle Kingdom », 26 avril 2012), que le géant de Cupertino commence à détailler la part provenant de cette région du monde. Moins de trois ans plus tard, la zone est sur le point de devenir la principale source de revenus du fabricant de la marque à la pomme. Et la demande paraît insatiable. L'introduction du dernier iPhone a provoqué des émeutes à Pékin. Avec plus d'un milliard d'abonnés au téléphone mobile en Chine, on comprend pourquoi Tim Cook, le nouveau PDG d'Apple, prévoit des résultats époustouflants pour le groupe.

Le travailleur du monde  émergent, notre client

La frénésie chinoise pour Apple crée de l'emploi dans toute l'Asie, où se trouve la plupart des sous-traitants de la marque. Mais combien d'emplois aux États Unis sont aussi créés par le succès d'Apple, au sein de la compagnie même (conception, design, recherche, marketing, etc.) ainsi que dans l'ensemble de l'écosystème qui vit autour de la firme et de ses applications. Le Président Obama avait bien saisi l'enjeu lorsqu'il déclarait dans son premier discours de l'Union en 2009 qu'il se fixait comme objectif de doubler les exportations des Etats Unis, essentiellement vers les pays émergents, pour créer deux millions d'emplois avant 2015. Quel extraordinaire changement de perspective: le travailleur du monde émergent est devenu notre client. Que s'est-il passé ?
Après 10 ans d'enrichissement rapide, la classe moyenne émergente est en pleine explosion. Plus de 120 millions de personnes la rejoignent chaque année. D'ici quinze ans ils seront 3.5 milliards. Plus de 50 fois la France. Une manne !
Comme l'illustre l'expérience d'Apple, la rapidité du déplacement des plaques tectoniques de l'économie mondiale vers le monde émergent prend tout le monde de court. La Chine est devenue, bien avant les prévisions les plus optimistes, la deuxième puissance économique mondiale. Le Brésil vient de dépasser le Royaume Uni. Fiat y vend aujourd'hui plus de voitures qu'en Italie !

Les Allemands ont su surfer sur la première vague de développement des pays émergents. La spécialisation industrielle de l'Allemagne l'a particulièrement bien servie pour répondre à leur besoin d'équipement, et notamment à l'industrialisation de la Chine. Leurs machines-outils ont fait merveille. De 2000 à 2010, Berlin a pratiquement doublé ses exportations (en pourcentage de son PIB) vers le monde émergent. Pendant ce temps, les exportations françaises faisaient du sur-place.

Aujourd'hui, nous avons toutes les raisons d'être optimistes. Les grands émergents sont en train d'aborder une nouvelle phase de leur développement. Leur croissance se tourne vers le marché intérieur, le développement de la demande domestique et non plus vers l'exportation. Les chinois en ont fait une priorité stratégique. Plus riches, ils souhaitent aussi améliorer leur environnement. Etre plus vert.

Des boulevards pour nos entreprises

C'est au tour de la France d'en profiter. A nous de bénéficier du « sweet spot » dans lequel se trouvent nos secteurs de spécialisation. Nos produits, qu'ils soient fabriqués par Danone ou par Louis Vuitton sont synonymes de qualité. Ils véhiculent une histoire et une image inégalées. Comme l'a montré l'exemple de Lejaby, repris par un fournisseur de LVMH, la demande des consommateurs émergents a un effet bénéfique sur l'emploi en France. Les gisements de croissance que représente la demande émergente permettront de créer des centaines de milliers d'emplois en France. Si nous savons relever le défi. Les besoins du monde émergent en matière d'environnement et d'infrastructure (énergie, transport, traitement des eaux, etc.) ouvrent des boulevards, si j'ose dire, pour nos entreprises. Le tourisme asiatique en France va exploser, comme explose aujourd'hui le tourisme brésilien en France. C'est bon pour Airbus, ça l'est aussi pour nos emplois de service, non délocalisables, qui subviendront aux besoins de ces nouveaux touristes.
À l'heure où la demande globale bascule à grande vitesse vers le monde émergent, pourquoi vouloir fermer nos frontières au risque de se priver de pain blanc et de se mettre à l'écart des nouveaux échanges mondiaux qui sont de plus en plus tirés par les pays du Sud? Il faut, au contraire,mener une politique volontariste qui permette de valoriser nos produits et d'exploiter l'exceptionnelle image du Made in France, armer nos entreprises pour réussir sans complexe dans le monde émergent, encourager nos petites et moyennes entreprises à aller, dans le sillage des grands du CAC 40, conquérir ce nouvel Eldorado.

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* Christian Deseglise est l'auteur de Le Défi des Pays Emergents : Une Chance pour la France, Michel de Maule, Avril 2012.