Europe : le deuxième moteur de la crise a démarré

Par François Leclerc  |   |  934  mots
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François Leclerc, chroniqueur de l'actualité de la crise sur le blog de Paul Jorion, analyse ici les conséquences des derniers évènements politiques et économiques dans la zone euro. Pas très rassurant.

La série noire continue : après la défaite de Nicolas Sarkozy, la chute électorale des deux grands partis grecs (impliquant de nouvelles élections sans trop d'illusion sur leur résultat), et la raclée reçue par David Cameron aux élections locales, voici la débâcle municipale de la droite italienne qui se confirme.Sous ces pesants auspices, Angela Merkel et François Hollande entament la recherche d'un compromis stratégique, un plan A'. Ils sont pris de vitesse, la fragilité extrême du système bancaire espagnol enfin reconnue par Mariano Rajoy, prélude à un sauvetage inévitable, et le ralentissement du rythme du désendettement public le devenant également en Grèce, à moins d'accepter sa sortie de la zone euro. Le bénéfice devrait alors en être étendu à l'Espagne, puis au Portugal et à l'Irlande. Dans les deux cas, il y aura toutefois un prix à payer.

Ecartant ces sinistres présages, la croissance est devenue le maître mot du discours, prenant abruptement la succession de l'austérité. Ayant l'avantage de ne pas être opérationnels, Christine Lagarde et Olli Rehn tentent pour leur part de réaliser l'impossible synthèse entre les deux, comme s'ils siégeaient en commission de résolution d'un congrès ! D'autres, comme David Cameron, prennent le train en marche et expliquent que « nous devons faire les deux choses à la fois », sans expliquer comment. Inflexible, Jörg Asmussen de la BCE, entend qu'« il doit être tout à fait clair que le pacte budgétaire - augmenté d'une élément sur la croissance - ne doit pas être affaibli dans sa substance », sans « passer par une hausse de la dépense publique ».

Une grande négociation européenne s'engage à la mode des précédentes sous ce tir groupé de déroutes électorales. Mais l'offre de croissance présumée qui en sortira sera-t-elle à la hauteur de la situation et répondra-t-elle à la demande pressante ? Les « décisions essentielles » que la chancelière allemande s'apprête à prendre avec le nouveau président français ne vont-elles pas se résumer, une fois de plus, à l'expression insatisfaisante d'un compromis de circonstance ?

L'attente en est partagée par tous les dirigeants européens, confrontés chez eux au même échec stratégique. Une première réponse tactique va lui être donnée à l'occasion du dîner informel des chefs d'État et de gouvernement, le 23 mai prochain. En faisant dire que le gouvernement allemand ne pouvait pas bloquer toutes les portes à la fois - l'intervention de la BCE et les euro-obligations - François Hollande a laissé entendre qu'il allait tenter d'obtenir des project bonds (des obligations destinées à financer des investissements et non un déficit). Mais le volume financier qu'ils représenteront reste à négocier.

Jacques Attali et Pascal Lamy avancent pour leur part le montant de mille milliards d'euros, un montant devenu unité de compte par les temps qui courent. Ils ont estimé le moment venu pour exposer leur plan d'action, en tentant de slalomer entre les difficultés, rejoints par des personnalités européennes. Il comporte deux volets, l'un concernant les investissements et leur financement, l'autre la dette à résorber. Des project bonds pourraient être émis par la Banque européenne d'investissement, dont le remboursement serait financé par une rétrocession d'un point de TVA des États, ainsi que par deux taxes, l'une liée aux émissions de carbone, l'autre aux transactions financières. La Commission ne manque pas dans ses cartons, comme elle vient de le rappeler, de projets consacrés aux secteurs de l'énergie, des transports, du numérique, de la recherche cognitive...

Le second volet implique de « circonscrire les dettes du passé en en mutualisant une partie ». On pense immédiatement à la partie qui dépasse le ratio de 60% du PIB. La perspective de la création d'un Trésor Européen est tracée, l'équivalent de l'institut monétaire européen qui avait précédé la création de la BCE, ce qui permet d'occulter l'épineuse question des euro-obligations en la dépassant. L'accent est mis pour conclure sur une avancée fédéraliste de l'Europe, afin de donner une « légitimité démocratique » à l'ensemble, selon les auteurs du document.

Comment ne pas relever dans cet exercice l'absence d'un troisième volet, indispensable à toute stratégie de désendettement ? et ne pas constater que rien n'est prévu au chapitre du désendettement du système bancaire européen, dont l'exemple espagnol montre qu'il mérite quelque attention ?Quant à l'offre de croissance qui sera annoncée à grand fracas d'ici la fin de mois, comment va-t-elle être accueillie si elle ne se traduit pas concrètement dans la vie quotidienne de ceux qui font les frais d'une austérité que David Cameron préfère renommer « efficacité », afin de chercher refuge derrière les mots ? Le temps est aux reconsidérations et il est en train de survenir ce que le gouvernement allemand craignait, le conduisant à ne rien vouloir céder : des premières mises en cause risquent d'en appeler d'autres.

Les Grecs viennent d'enrayer une machinerie péniblement lancée : il y a une limite à l'insupportable, au-delà de laquelle toute révolte trouve la première occasion qui lui tombe sous la main pour s'exprimer. Pour y répondre dans toute l'Europe, une inflexion stratégique fera-t-elle l'affaire, comme si ce n'était qu'une simple question de degré et de curseur ? Chaque chose en son temps : un deuxième moteur de la crise européenne vient d'être mis en route.