Faire payer les riches ! Mais lesquels, et comment ?

Par Michel Taly, ancien directeur de la législation fiscale au ministère des Finances.  |   |  571  mots
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Une étude de l'Institut des politiques Publiques fait opportunément le point, en cette période électorale, sur les aspects redistributifs de notre système fiscal. Elle confirme un constat déjà connu : globalement progressif pour 90 % des ménages, le prélèvement fiscal global cesse de croître pour le dernier décile (les dix pour cent de ménages qui ont les revenus les plus élevés) et diminue même brutalement, tout en haut de la courbe, pour le dernier un pour mille, soit quelques milliers de ménages. Les causes sont elles aussi connues : pour tracer une telle courbe, on met au numérateur le total des impôts payés et au dénominateur tous les revenus, y compris ceux du capital pour leur montant total et même s'ils n'ont pas été perçus effectivement.

On peut tirer de cette analyse une première conclu-sion, soulignée par le rapport?: relever le taux de l'impôt n'est pas la bonne solution, et les réformes récentes, consistant justement à relever les taux d'imposition sur tous les revenus, ont eu pour consé-quence de pénaliser, au sein des « riches », ceux qui ont des revenus élevés mais un patrimoine peu important (à leur niveau?!), par rapport à ceux qui ont un patrimoine énorme et un revenu faible (en proportion?!).Il y a donc un problème d'équité entre riches de catégories différentes. On pourrait penser que les autres contribuables ne sont pas concernés par cette « injustice », mais il n'est pas bon pour un pays que son système fiscal favorise les rentiers et pénalise les entrepreneurs (la formule est volontairement sim-plificatrice et donc caricaturale).

Relever les taux pour tous les revenus n'est donc pas la bonne façon de faire. Pour que la courbe ne « plonge » pas à la fin, il faudrait plutôt taxer au même taux que les autres revenus tous les revenus que l'on a mis au dénominateur.Mais, cet élargissement est à la fois injuste et inefficace. Injuste, quand il est proposé de taxer au barème de l'impôt sur le revenu la totalité des produits financiers et des plus-values?: en effet, l'inflation écorne au fil du temps le capital investi et il faut en tenir compte?; inefficace quand il est proposé de taxer les revenus « capitalisés », c'est-à-dire ceux qui restent dans des structures intermédiaires (société holding, fonds d'investissement, contrat de capitalisation) sans être perçus effectivement par la personne physique?; souvent étudiée, une telle taxation de profits « latents » est techniquement et politiquement inapplicable.En fait, la seule façon de faire participer davantage ces quelques milliers de contribuables est un impôt annuel sur le capital, à taux très faible et sans exonération. En effet, un impôt sur le capital à taux élevé s'accompagne inévitablement d'un plafonne-ment en fonction du revenu, qui favorise ceux qu'on a appelé par commodité les rentiers, c'est-à-dire ceux dont le patrimoine est énorme par rapport aux revenus. L'histoire chaotique de notre impôt sur la fortune depuis trente ans le montre bien.Dans son état actuel, après la dernière réforme, qui a consisté à baisser les taux et supprimer le bouclier, notre ISF est plus proche qu'il ne l'a jamais été de ce qu'il faudrait faire... à un « détail » près?: on a oublié de remettre en cause les exonérations totales qui se justifiaient par les taux élevés. Celle des ?uvres d'art (dont la remise en cause serait surtout importante pour sa portée symbolique) et celle (beaucoup plus significative) des biens professionnels.

Si l'on veut vraiment faire participer les plus riches à l'effort sans précédent de redressement de nos finances publiques qui nous attend, plutôt que de toucher aux taux de l'impôt sur le revenu ou de prétendre aligner totalement l'imposition des revenus du capital sur celle des revenus du travail (idée exprimée des deux côtés de l'échiquier politique et qui serait catastrophique... ou, plus vraisemblablement, qui ne se fera pas?!), il serait plus efficace d'explorer la voie consistant, dans le cadre de l'ISF au taux actuel, à remettre en cause, dans des proportions à déterminer, l'exonération des biens professionnels.