Présidentielle 2012 : les enseignements des prévisions du modèle ElectionScope

Le vote blanc stratégique du FN et le mauvais positionnement électoral de la majorité ont été les clefs d'un scrutin qui n'était pas perdu d'avance
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Une prévision scientifique est toujours probabiliste exprimant ainsi ce qui pourrait être et non pas ce qui sera.
Trois semaines avant le premier tour de l'élection présidentielle, l'ultime simulation du modèle ElectionScope donnait un probable et léger avantage à Nicolas Sarkozy avec 50.2% des voix au second tour (marge d'erreur +/- 1,7), et ce à rebours de tous les sondages. Nous confrontons ici la performance du modèle aux résultats réels, mais au-delà, nous décryptons les facteurs qui ont éloigné la prévision de la réalité, finalement de peu, au cours d'un scrutin qui en dépit de la psychologie ambiante et des enquêtes d'intentions de votes, n'était pas perdu d'avance pour la droite.

Pourtant, le 6 mai 2012, en obtenant 51.62% (51.3% en métropole) des suffrages au second tour, François Hollande l'a emporté avec le second score le plus serré de la V° République avec 0,8 point de plus que V. Giscard d'Estaing en 1974.
Autre fait marquant, minoritaire au premier tour avec 43.7% des voix la gauche l'emporte au second tour en réalisant un gain de 7.9 points. Or, depuis 1965, la gauche n'avait jamais remporté la présidentielle sans atteindre au moins 49% des voix au premier tour comme en 1981 et en 1988. Du strict point de vue de l'arithmétique électorale, la gauche a donc bénéficié du renfort d'électeurs qui s'étaient portés sur le centre et le Front National. Du point de vue de la stratégie électorale cette fois, alors que de son côté la gauche restait unie, la droite républicaine devait faire face à la menace du vote blanc et de l'abstention de la part du FN et du Modem.

Décrue du chômage jusqu'à la mi 2011
Après avoir prévu la possibilité d'une victoire de la gauche jusqu'en octobre 2010 notre modèle a par la suite généré la probabilité d'une victoire de la droite (voir nos articles de l'Expansion) jusqu'en mars 2011, avec un score serré au second tour de 50,2% des voix. Ce résultat émane pour l'essentiel de la décrue du taux de chômage jusqu'au second trimestre 2011, élément à peine défendu par la majorité, avant le rebond du troisième trimestre 2011. Il réside aussi dans la stabilité et la structure de la démographie électorale de certaines régions. De leur côté, les huit grands instituts de sondage donnaient en moyenne le candidat de gauche à 54% des voix au 4ème trimestre 2010, puis à 60% en octobre 2011 et enfin à 58% en mars 2012. En avril, avant le premier tour de l'élection, la gauche était estimée en moyenne à 54,5% des suffrages au second tour.

Une bonne approche des rapports de force au premier tour
Au premier tour, les simulations du modèle ElectionScope approchent très correctement le bon rapport de force droite/gauche (soit 54/46). Par ailleurs, ce bon rapport de force a été bien prévu dans 16 régions sur 22 (en revanche en Aquitaine, Auvergne, Midi-Pyrénées, Nord Pas de Calais, et  Poitou Charente le score de la droite lato sensu est sous estimé tandis qu'en Corse son score est surestimé). On rappellera que la prévision du vote au premier tour repose notamment sur des déterminants économiques (variation régionale du chômage), la crédibilité de l'exécutif (popularité du président), les élections passées (législatives au niveau de la région) et les zones de force régionales des grandes familles politiques.

La prévision du mauvais côté de l'épaisseur du trait
En revanche, le modèle de second tour n'intègre que des éléments relevant de l'arithmétique électorale, dont le score simulé du premier tour et les reports de voix « historiques » régionaux au sein des deux grands blocs droite/gauche. L'accent est notamment mis sur les reports de voix du centre et du FN.
En ce qui concerne le second tour de la présidentielle, compte tenu de la marge d'erreur de +/- 1.7, l'ultime simulation politico-économique, dont la mesure optimale se situe à la fin du trimestre qui précède l'élection (soit en mars 2012), situait Nicolas Sarkozy dans une fourchette [48.5-51.9] des voix en métropole. Le score réalisé de 48,7% en métropole pour le président sortant se situe donc dans la marge d'erreur. En valeur absolue, la prévision se situe même à 1.5 point du résultat réel mais du mauvais côté de l'épaisseur du trait.

Un changement du comportement électoral?
De leur côté, dans la troisième semaine d'avril 2012, les sondages de second tour sont à 3.5 du résultat réel en valeur absolue, mais certes orientés dans le bon sens, ceci après avoir surestimé la gauche en moyenne de 7.4 points au 4ème trimestre 2011, puis de 5 points au 1er trimestre 2012.


A noter qu'ici encore, le second tour est correctement prévu par le modèle dans 16 régions sur 22 à l'exception de Languedoc-Roussillon, la Basse Normandie, la Bourgogne, Pays de la Loire, l'Ile de France et de la Corse. Reste à expliquer un écart entre prévisions et réalisations parfois surprenant.
De là, quatre questions sont posées :
- Le comportement de participation des électeurs a-t-il changé par rapport aux scrutins passés ?
- D'un point de vue de la stratégie électorale, comment expliquer que le bloc droite + centre ait vu son potentiel électoral chuter de près de 9 points et terminer au-dessous des 50% entre les deux tours alors que la victoire de N. Sarkozy restait arithmétiquement possible.
- Les sondages préélectoraux ont-ils joué un rôle sur les comportements de vote (présence d'un « underdog effect »)?
- D'un point de vue technique : quelles-sont les variables manquantes qui auraient pu mieux expliquer le second tour et conforter la prévision? On pense notamment à une variable expliquant les ressorts de l'anti-Sarkozysme.

Le vote blanc comme stratégie

1) Le comportement de participation des électeurs par rapport aux scrutins passés : le rôle d'une utilisation stratégique du vote blanc par le FN.
Un modèle de simulation indique toujours ce qui pourrait arriver en vertu d'hypothèses dont la stabilité a été éprouvée dans le passé. Cependant, plusieurs éléments de campagne, très proches du scrutin, comme le choix de vote personnel de F. Bayrou, celui d'anciens ténors du centre droit ou de la galaxie chiraquienne n'étaient pas par définition dans le modèle. Il en va de même de l'utilisation stratégique du vote blanc par le Front National.
A cet égard, les bulletins blancs et nuls ont été multipliés par 3 entre les deux tours de la présidentielle pour atteindre plus de 2 millions (un record inégalé sous la Vème République) et, en observant la cartographie postélectorale de plus près, ils semblent provenir pour l'essentiel d'électeurs FN : on constate une corrélation forte entre scores les élevés du FN (> à 20%), un fort taux de bulletins blancs (> à 7% des votants) et les territoires notamment ruraux à taux de chômage (> à 10%).

- Livrons-nous au calcul suivant :
Posons par hypothèse que les votes blancs sont identiques pour les 2 tours de la présidentielle (environ 600 000). Il vient un « surplus de 2000000 - 600000 = 1 400 000 votes blancs. En réattribuant à N. Sarkozy ne serait-ce qu'un peu plus du tiers de ces votes blancs, on obtient suffisamment de voix pour atteindre 50,2%. Le score annoncé par le modèle était atteignable pour le sortant. Reste qu'il faut ensuite aller plus loin dans l'explication du gain spectaculaire des voix de gauche entre les deux tours. Cette explication réside assurément dans la stratégie de campagne du président sortant.

La déperdition des voix à droite

2) Déperdition des voix à droite et stratégie électorale
Nous avons mentionné que dans cinq régions la déperdition du bloc droite + FN était si spectaculaire qu'elle a mis en échec le score régional prévu. Si l'on met de côté la Corse toujours difficile à prévoir, on observe que la Pays de la Loire, Basse Normandie, la Bourgogne et étaient jusqu'à présent trois zones de force « historiques » de la droite. Le bloc de droite recule également de manière inédite en Ile de France. Languedoc-Roussillon est quant à elle une zone de force partagée par la droite et le FN.
Au total, on remarquera que Basse Normandie, Pays de la Loire et l'Ile de France ont tours été des bastions de centre-droit. La Bourgogne et Languedoc-Roussillon ont toujours été des lieux d'implantation de la droite libérale.
Dans au moins trois régions (en écartant la Bourgogne et Languedoc-Roussillon) l'inversion du rapport de force droite/gauche émane d'une fuite de l'électorat centriste.
La stratégie de « droitisation » de Nicolas Sarkozy n'a donc pas forcément porté ces fruits. On l'explique aisément par la théorie de l'électeur médian de Downs-Hotelling, en tenant compte du fait que sous la Vème République au premier tour on rassemble son camp et au second tour on tente de capter l'électorat médian.
Si l'on observe la distribution des votes au premier tour, le médian absolu (individu qui a autant d'électeur sur sa droite que sur sa gauche) est chez François Bayrou. Le médian du camp de droite (lato sensu) est chez Nicolas Sarkozy tandis que le médian du camp de gauche est chez François Hollande. Néanmoins, compte tenu de la forme de la distribution, le médian de droite est à 22 points du médian absolu tandis que le médian de gauche en est à 28 points, soit beaucoup plus loin. Nicolas Sarkozy devait donc logiquement capturer les électeurs lui permettant de franchir les 50% en allant vers le centre. On pouvait cependant rétorquer qu'un l'électorat FN à 17.9% des voix serait décisif justifiant ainsi une « droitisation » de la campagne sur la question des valeurs et les frontières et moins sur l'économie et le social. On rappellera pourtant le lien étroit entre les zones de force du FN et le niveau élevé du chômage.
Or si l'on en croit l'enquête préélectorale IFOP en rolling (la plus proche du résultat final parmi les sondeurs), sur 100 électeurs lepénistes ayant l'intention de voter Hollande ou Sarkozy, le 24 janvier 2012, 71% votaient Sarkozy et le 4 mai, soit après trois mois et demi de campagne, ce taux progressait à 77%...seulement. Finalement, cette stratégie semble avoir été peu porteuse de gains électoraux si bien que le véritable problème c'est certainement son coût.

Et les sondages?

3) Le rôle des sondages préélectoraux
Sur ce point, une question vient à l'esprit : les sondages préélectoraux ont-ils influencé le vote, et en particulier, ont-ils démobilisé (les politologues anglo-saxons parlent d'underdog effect) les électeurs de droite dès le premier tour en affichant des scores frisant parfois les 60% pour François Hollande voire encore 55% entre les deux tours ? Le résultat eut il été changé si les sondages avaient annoncé un score plus resserré d'emblée depuis la fin du mois de décembre 2011 ? Les tests complémentaires que nous mènerons, devront infirmer ou confirmer cette hypothèse.
4) Les facteurs explicatifs manquants du modèle de second tour
La psychologie et l'image des candidats constituent certainement un manque et une piste de développement ultérieure. Cependant l'anti-Sarkozysme ne suffit pas à lui seul pour expliquer pourquoi la droite a échoué au second tour.
Par ailleurs le fait que le modèle ait produit un résultat proche de la réalité en valeur absolue et annoncé une compétition serrée plus d'un an avant l'échéance rend délicate une modification en profondeur des équations. Reste néanmoins à tester tous les éléments susceptibles d'améliorer les qualités prédictives du modèle pour 2017 dont assurément l'image des candidats.

 

 

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Commentaires 19
à écrit le 18/05/2012 à 15:47
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NOSTRADAMUS écrit : Et ceux qui ont une culture scientifique et qui comprennent que c'est un exploit d'arriver à modéliser l'état de l'opinion publique avec une telle précision. Oui, c'est peut-être d'ailleurs parce que c'est un peu trop "un expl...

à écrit le 18/05/2012 à 15:42
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"Comment ce modéle peut-il prendre en compte la manipulation de l'opinion publique par une presse très majoritairement de gauche, qui ne refléte pas l'équilibre des opinions des Français ?" NOSTRADAMUS En France la manipulation de l'opinion étant,...

à écrit le 18/05/2012 à 12:46
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Il y a deux types de réactions sur ce forum. Celle de ceux qui ne comprennent rien aux statistiques et aux mathématiques,( et qui oublient que, philosophiquement, il n'y a de vérité absolue que scientifique, le reste est de l'opinion) Et ceux qui o...

à écrit le 18/05/2012 à 11:20
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Bravo pour la savante dissertation arithmétique destinée à masquer que VOUS VOUS ETES PLANTÉS chers amis!

à écrit le 18/05/2012 à 10:40
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Objectivement, du point de vu purement scientifique, ce modéle est remarquable en obtenant à partir de chiffres socio-économiques un résultat avec une incertitude de 2%. Mais les choix électoraux sont-ils rationnels ? Face à la crise de la dette, fau...

à écrit le 18/05/2012 à 10:01
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La méthode des JEROME est infaillible. Si maintenant même la perfection a besoin de se perfectionner, où va t-on ? je vous le demande...

à écrit le 18/05/2012 à 9:55
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Le prétendu modèle hyperscientifique d'ElectionScope s'est crashé sur les urnes lors du second tour et a été moins bon que le dernier sondage du vendredi (52-48) mais ça ferait mal au coeur de ses auteurs de l'admettre et de cesser de nous abreuver d...

à écrit le 18/05/2012 à 9:54
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En conclusion Bruno JERÔME et Véronique JERÔME-SPEZIARI nous expliquent que leur méthode scientifique ne se trompe jamais mais que c'est la réalité qui se trompe.

à écrit le 18/05/2012 à 6:04
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GABUZO a écrit le 17/05/2012 à 12:02 : "cette analyse me paraît assez bonne. Scientifiquement elle montre que la France reste majoritairement à droite" C'est vrai, si on enlève la Présidence de la République, le gouvernement et le sénat, 21 ré...

à écrit le 17/05/2012 à 17:17
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je trouve que les plus riche devrait payer plain pot se nai pas toujours les memme qui doivent payer les pot casse pour les gens qui se mette de largent plein les poches pandant que les personne precaire nont meme pas de quoi soffrir restaurant ou ci...

à écrit le 17/05/2012 à 17:13
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je trouve que les mauvais payeur devrait payer plain pot il ny ya pas de raison que ce soit toujours les plus demunie et les plus pauvre qui sont en precarite qui paye pour les autres qui se mette de largent plein les poches merci rambo

à écrit le 17/05/2012 à 15:49
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Méthode scientifique si on veut reposant sur un ensemble d'observations empiriques... ce qui amuse c'est votre capacité à donner une incertitude j'aimerais bien savoir comment vous la calculez....

à écrit le 17/05/2012 à 12:02
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cette analyse me paraît assez bonne. Scientifiquement elle montre que la France reste majoritairement à droite mais une analyse scientifique ne peut prendre en compte la psychologie. or l'élection présidentielle s'est jouée sur le rejet de la personn...

à écrit le 16/05/2012 à 20:18
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heu....50.2 - 1.7(marge erreur)=48.5 soit son score inutile d'aller plus loin dans l'article ,c'est assez pathétique

à écrit le 16/05/2012 à 15:06
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Pourquoi on avait raison, même si les faits nous ont donné tort... Pathétique.

le 16/05/2012 à 16:06
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est-il interdit de faire un décryptage de l'écart entre prévision et réalisations? Les auteurs avouent que leur prévision a été déjouée. Au moins avec les modèles statistiques, contrairement aux autres méthodes ont peut savoir ce qui a cloché pour la...

le 16/05/2012 à 20:19
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Sauf qu'Electionscope avait prévu l'élection de Nicolas Sarkozy et que tous les instituts de sondage avaient prévu l'élection de François Hollande.

à écrit le 16/05/2012 à 12:27
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Je vous conseille d'aller sur le site vote-blanc.org pour nuancer votre analyse du vote blanc en descendant sur la page d'accueil au titre: Pas d'effet Le Pen particulier sur le vote blanc. Le plus grand nombre de bulletins blancs est toujours détenu...

le 16/05/2012 à 15:53
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Oui mais a priori le champ d'étude est ici la présidentielle et pas les législatives à propos desquelles il est vrai le vote blanc a été considérable (un record abbsolu pour ce type d'élection)

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